Environnement - Harper tente d'esquiver Kyoto
Le projet de loi sur «l'assainissement de l'air» que le gouvernement Harper s'apprête à déposer la semaine prochaine aux Communes autoriserait le gouvernement fédéral à se soustraire aux obligations du protocole de Kyoto même si le Parlement fédéral a ratifié formellement ce traité en décembre 2002, s'obligeant ainsi à l'appliquer au Canada.
La version du projet de loi, divulguée hier par le Sierra Club du Canada et Greenpeace, a été obtenue par un troisième groupe, les Amis de la Terre. Cette version, datée du mois d'août, peut avoir été modifiée depuis, convenaient hier les trois groupes, qui l'estiment néanmoins «représentative de la philosophie du gouvernement Harper» en matière de lutte contre les changements climatiques. Pour les trois groupes, ce projet de loi constitue tout au plus une opération de «relations publiques» visant à donner l'illusion que le gouvernement avance en matière d'environnement alors qu'il piétine ou, pire, recule.L'art de se délier
La lecture attentive du projet de texte législatif révèle une surprise de taille. Dans l'article 17, il est précisé que les ministres fédéraux, réunis en Conseil pour adopter des règlements sur l'assainissement de l'air, «peuvent prendre en considération [...] les obligations internationales du Canada relatives à l'environnement ou à la santé humaine».
Or la loi de ratification de 2002 a précisément créé des «obligations internationales» au Canada, dont celle de réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 6 % par rapport au niveau de 1990. Avec l'amendement proposé à la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (LCPE), le gouvernement canadien pourrait prétendre qu'il a désormais le pouvoir discrétionnaire d'atteindre en tout ou en partie, voire de ne pas même tendre à atteindre les objectifs du protocole de Kyoto puisque sa loi de l'environnement ne lui ferait pas l'obligation de traduire en normes canadiennes les normes des traités internationaux qu'il a signés. Il n'aurait même pas la modeste obligation de «prendre en considération» les objectifs et les normes des traités qu'il a signés.
Pour Steven Guilbeault, de Greenpeace, il faudrait plutôt écrire dans la loi que les ministres fédéraux «non pas "peuvent" mais "doivent" appliquer les normes des traités que le Canada a signés» sous peine de ridiculiser le Canada sur la scène internationale.
Me Stephen Hazell, le nouveau coordonateur du Sierra Club du Canada, reconnaît l'«énorme porte qu'elle ouvre», convient-il, à un gouvernement fédéral intéressé à contourner la loi de ratification du protocole de Kyoto.
Un juriste bien au fait du droit environnemental au Canada, mais qui préfère conserver l'anonymat en raison de ses fonctions stratégiques dans l'appareil fédéral, précisait de son côté au Devoir hier «que cet article du projet de loi est surprenant car il n'ajoute rien au pouvoir habilitant du gouvernement sur le plan réglementaire. Il semble plutôt avoir été conçu pour pouvoir se délier des obligations strictes de certains traités. Cela, par contre, n'annule pas les obligations du Canada en droit international: mais cela conférerait une légitimité apparente à un gouvernement — au niveau national — pour appliquer de façon discrétionnaire les traités internationaux les plus impératifs».
Ce texte législatif pourrait constituer d'autre part une contre-attaque au projet de loi déposé aux Communes en mai dernier par le député libéral d'Honoré-Mercier, Pablo Rodriguez. Ce projet de loi, qui a franchi avec succès le test de la deuxième lecture, vise à obliger le gouvernement Harper à appliquer le protocole de Kyoto. Le premier ministre Harper aurait fait savoir au chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, qu'il pourrait en faire un vote de confiance susceptible de défaire le gouvernement. Le cas échéant, les changements climatiques deviendraient un des enjeux principaux de la prochaine élection, une première politique au Canada.
Loi timide et fragile
Le projet de loi dévoilé hier est en réalité fort éloigné du Clean Air Act des États-Unis, que les conservateurs citent en modèle. Cette loi oblige le gouvernement américain à revoir tous les cinq ans sa réglementation afin de hausser les normes au niveau que permettent d'atteindre les meilleures technologies existantes (Best Available Technologies). Rien de tel dans le projet de loi que pilotera la ministre fédérale de l'Environnement, Rona Ambrose. Dans son article 103.08, le projet de loi prévoit cependant que le fédéral pourra fixer des objectifs de réduction pour les matières particulaires et l'ozone, une des rares nouveautés par rapport à la loi actuelle. Mais l'atteinte de ces objectifs n'est pas impérative.
Le chapitre de la loi le plus contesté par les juristes des trois groupes environnementaux est celui qui soustrait toute une série de contaminants atmosphérique du chapitre de la LCPE sur les «toxiques». La nouvelle loi, dont l'adoption prendra de trois à quatre ans avec un gouvernement minoritaire, crée une nouvelle catégorie de «polluants de l'air» dans laquelle Ottawa place les GES. Ce transfert des GES dans une nouvelle catégorie, jamais testée devant les tribunaux contrairement à celle des «toxiques», ouvre la porte, ont fait valoir les trois groupes, à de nouvelles contestations juridiques qui neutraliseront l'atteinte de Kyoto pendant plusieurs autres années. Selon Me Stephen Hazell, la section où le gouvernement Harper place les GES pourrait se révéler «anticonstitutionnelle» et offrir, par le fait même, des années supplémentaires d'inapplication de Kyoto aux pétrolières ou aux provinces productrices de pétrole, qui n'hésiteront pas à plaider l'empiétement des pouvoirs provinciaux.
Pour aller plus vite et sans risque de contestation, peu avant la dernière élection, le gouvernement Martin avait inclus les GES dans la liste des «toxiques».
Globalement, explique Steven Guilbeault de Greenpeace, le gouvernement Harper se contente, avec ce projet de loi, de ramener dans une nouvelle section (article 5) de la loi des volets présents ailleurs dans la même loi depuis des années. «Tout ce que le gouvernement Harper veut, dit-il, c'est faire croire au public avant la prochaine élection qu'il a voulu bouger en matière d'environnement et que l'Opposition l'a empêché d'améliorer sa loi. Alors que c'est le contraire. On est devant une campagne de relations publiques. Pas devant un raffermissement de la protection de l'environnement.»