Interdiction de nier le drame de 1915 - La France adopte une sur le génocide arménien

Malgré l'hostilité du gouvernement, les députés français ont adopté hier une proposition de loi socialiste qui sanctionne la négation du génocide arménien, provoquant la colère de la Turquie et les critiques des institutions de l'Union européenne.
Grâce à la non-participation au vote de la majeure partie des députés UMP, le texte a été validé par 106 voix contre 19. Compte tenu du calendrier parlementaire, il semble toutefois peu probable qu'il soit discuté au Sénat avant la fin de l'actuelle législature, en février 2007.Ce vote porte un «coup dur» aux relations franco-turques, a déclaré le ministère turc des Affaires étrangères dans un communiqué, selon lequel la France «perd malheureusement sa position privilégiée au sein du peuple turc». Avant le vote, la Turquie avait brandi la menace de représailles économiques.
Il a aussi été critiqué par la Commission européenne, selon laquelle ce texte peut «empêcher le dialogue pour la réconciliation» entre la Turquie et l'Arménie. Bruxelles y voit en outre un obstacle au dialogue avec la Turquie au moment où celle-ci frappe à la porte de l'Europe.
Le gouvernement français s'est aussi distancé du texte, qu'il ne soutenait pas. Le premier ministre Dominique de Villepin a estimé que ce n'était «pas une bonne chose que de légiférer sur les questions d'histoire et de mémoire». Et le ministère des Affaires étrangères a rappelé que la France restait «très attachée au dialogue avec la Turquie».
Mais les députés font passé outre les mises en garde sur une crise avec la Turquie pour adopter ce texte prévoyant que toute personne niant la réalité du génocide arménien de 1915 sera punie d'un an de prison et d'une forte amende.
Déposée par l'opposition socialiste, la proposition a été adoptée à une large majorité: 106 voix pour et 19 contre. Quarante-neuf députés du parti UMP au pouvoir (droite) ont voté oui, ainsi que 40 élus du Parti socialiste (PS). La majorité des 577 députés étaient cependant absents au moment du vote, salué par des applaudissements. Ce texte complète une loi de 2001 qui avait déjà marqué la reconnaissance du génocide arménien.
Le vote d'hier ne signifie cependant pas que la loi va forcément entrer en vigueur: le texte doit encore être adopté par le Sénat (Chambre haute du Parlement) avant une deuxième lecture. Les groupes politiques pourraient alors décider de ne pas l'inscrire à l'ordre du jour afin de ne pas envenimer les relations avec Ankara.
À l'Assemblée, le texte a divisé les partis au-delà du clivage gauche-droite.
«J'espère que la France, patrie de la liberté où chacun peut librement exprimer ses opinions, ne deviendra pas un pays où des gens sont emprisonnés pour avoir exprimé leurs opinions et publié des documents», avait déclaré mercredi le ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gül.
Lors des débats, le député du parti au pouvoir (UMP) Patrick Devedjian, d'origine arménienne, a accusé la Turquie «d'exporter le négationnisme dans notre pays» en organisant des manifestations en France.
Le débat a eu lieu en présence de sept députés turcs invités par le président de l'Assemblée nationale Jean-Louis Debré — opposé à l'adoption du texte — et installés dans la tribune présidentielle. Ils se sont éclipsés en silence après le vote.
Hasard du calendrier, ce vote est survenu le jour de l'attribution du prix Nobel de littérature au romancier Orhan Pamuk, critiqué en Turquie pour avoir pris la défense de la cause arménienne.
Les Arméniens estiment que jusqu'à 1,5 million des leurs ont péri dans un génocide perpétré par les Turcs entre 1915 et 1917, ce qu'Ankara récuse.
Agence France-Presse
et Reuters