Assassinat d'une journaliste de l'opposition en plein centre de Moscou - Poutine brise son silence sur la mort de Politkovskaïa

À Saint-Pétersbourg hier, de nombreux habitants de l’ex-capitale russe allumaient des bougies devant le portrait de Politkovskaïa.
Photo: Agence Reuters À Saint-Pétersbourg hier, de nombreux habitants de l’ex-capitale russe allumaient des bougies devant le portrait de Politkovskaïa.

Moscou — Le président russe Vladimir Poutine a rompu son silence hier pour évoquer la «mort tragique» de la journaliste Anna Politkovskaïa et promettre une «enquête objective», joignant tardivement sa voix aux réactions d'indignation qui se multiplient dans le monde.

Plus de 48 heures après l'assassinat en plein centre de Moscou de la journaliste d'opposition, critique infatigable des exactions commises en Tchétchénie, le Kremlin a publié un communiqué laconique après un entretien téléphonique entre Vladimir Poutine et son homologue américain George W. Bush.

«Vladimir Poutine a souligné que les forces de l'ordre russes feront tous les efforts nécessaires pour une enquête objective sur la mort tragique de la journaliste Anna Politkovskaïa», indique simplement le Kremlin.

Ce commentaire timide du président russe, cible récurrente des articles de Anna Politkovskaïa notamment pour sa politique de «normalisation» à marche forcée de la Tchétchénie, intervient alors que Moscou est pressé de toutes parts d'identifier et de traduire rapidement devant la justice les commanditaires du meurtre.

Dès dimanche, Washington avait demandé «de toute urgence» au gouvernement russe de «mener une enquête immédiate et exhaustive afin de retrouver, poursuivre et juger, tous les responsables de ce meurtre haineux».Le journal pour lequel travaillait Anna Politkovskaïa offre l'équivalent de près d'un million de dollars pour toute information permettant d'identifier l'assassin de la journaliste .

Quatre balles

Politkovskaïa, l'une des plus féroces critiques du président Vladimir Poutine, a été abattue de quatre balles samedi soir alors qu'elle rentrait dans son appartement du centre de Moscou après avoir effectué des courses. Cette mère de deux enfants, âgée de 48 ans, est morte sur le coup.

Pour les enquêteurs et les observateurs russes, ce meurtre est lié au travail critique de la journaliste à l'égard du pouvoir russe, qui lui a valu de nombreuses récompenses internationales.

Le portrait de Politkovskaïa, bordé de noir, s'étalait en une hier de la Novaïa Gazeta, son employeur. L'article qui lui est consacré commence par ces mots: «Elle était magnifique.» Dans un communiqué publié sur son site Internet (www.novayagazeta.ru), le journal affirme que «ce meurtre est un défi aux valeurs fondamentales de notre société».

D'après la direction du journal, Politkovskaïa travaillait sur un article consacré aux violations des droits de l'homme par les forces gouvernementales en Tchétchénie lorsqu'elle a été tuée. Elle n'avait pas encore transmis sa copie au journal.

En Russie, intellectuels et journalistes ont condamné le meurtre de Politkovskaïa. Le Kremlin est, en revanche, resté muet malgré la multiplication des condamnations internationales.

Dernier dirigeant en date à rendre hommage à Anna Politkovskaïa, le président américain George Bush a salué la mémoire d'une journaliste intrépide ayant dénoncé les atteintes aux droits de l'homme et la corruption.

Il a invité Moscou à «effectuer une enquête énergique et approfondie pour traduire en justice les responsables».

Le Comité de protection des journalistes, organisation basée à New York, affirme que la Russie est le troisième pays le plus dangereux au monde pour les journalistes depuis 1992, derrière l'Irak et l'Algérie.

Quarante-deux journalistes sont morts en Russie depuis cette date, la plupart victimes d'assassinats apparemment commandités et non résolus.

D'après les autorités, le principal suspect de l'assassinat d'Anna Politkovskaïa apparaît sur les images d'une caméra de surveillance. On peut voir un homme de grande taille, coiffé d'une casquette, pénétrer dans un ascenseur de l'immeuble de la journaliste peu après elle.

Malgré sa renommée internationale, Mme Politkovskaïa apparaissait peu dans les médias de son pays. La Novaïa Gazeta a un tirage de 170 000 exemplaires dans un pays comptant 140 millions d'habitants. Ce journal n'est guère lu en dehors des cercles intellectuels de Russie. La plupart des Russes s'informent par le biais de la télévision, dont les principales chaînes ont adopté un ton conciliant avec le Kremlin.

Les chaînes de télévision russes ont tout de même accordé une large place à la mort de Mme Politkovskaïa, en insistant notamment sur sa renommée internationale acquise par sa critique de la politique du gouvernement en Tchétchénie. Elles n'ont en revanche guère fait mention de ses critiques acerbes et personnelles contre le chef de l'État. Son livre La Russie de Poutine n'a d'ailleurs pas été édité dans son propre pays.

Des proches du président ont eux-mêmes fait comprendre que la liberté de la presse n'était pas une priorité du Kremlin. «Nous allons tout faire pour parvenir à un équilibre entre liberté et ordre», a ainsi déclaré en septembre Vladislav Sourkov, proche collaborateur de Poutine. «La liberté, c'est avoir [une voiture] à conduire et des choses à acheter.»

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