Début des travaux de la nouvelle assemblée constituante bolivienne - Le «temps de la recherche» a commencé

Sucre, Bolivie — «Une nouvelle ère a commencé.» Evo Morales a officiellement ouvert samedi soir les travaux de la nouvelle assemblée constituante bolivienne, qui s'attaque à la révision de la loi fondamentale du pays le plus pauvre d'Amérique du Sud, autour d'une ambition centrale: rendre la parole et la dignité à la majorité indienne.
Pour le premier président indien de Bolivie, élu en décembre, c'est «le temps du changement». «Le temps de la recherche de la justice sociale. Le temps de la recherche de la liberté et de l'égalité pour notre peuple», après des siècles de colonisation puis de domination par l'élite blanche d'origine espagnole.Mais la tâche s'annonce ardue, alors que les 255 élus de l'assemblée constituante entament leurs travaux, avec un mandat d'un an. Le MAS (Mouvement vers le socialisme) de Morales y est certes majoritaire, mais il ne dispose pas des deux tiers nécessaires pour avoir d'entrée le dernier mot. Il va également falloir compter avec le «front du refus», celui des riches provinces de l'Est et du Sud, conservatrices et cruciales pour l'économie nationale, car concentrant l'agriculture et les hydrocarbures. À l'occasion du scrutin du 2 juillet, elles ont par référendum réclamé plus d'autonomie par rapport au pouvoir central. Et c'est l'Assemblée constituante qui devra concrétiser ce «oui» en forme de camouflet pour Morales.
Autre enjeu de taille susceptible de déclencher des conflits sanglants, les projets de renationalisation de Morales, qui a déjà nationalisé par décret le secteur des hydrocarbures le 1er mai et veut la réforme agraire.La militante quechua Sylvia Lazarte a été élue au perchoir de cette constituante déterminante. Elle devra déjà commencer par régler un premier conflit latent: si la loi exige que la révision constitutionnelle soit adoptée à la majorité des deux tiers, elle ne précise pas si ces deux tiers sont également en vigueur pour les décisions de fonctionnement, désignation des commissions ou fixation de l'ordre du jour. Les élus du MAS veulent que les travaux de l'assemblée se déroulent à la majorité simple, pour une meilleure efficacité. C'est sans compter avec le parti conservateur Podemos, qui réclame la majorité des deux tiers pour chaque vote.
La constitution bolivienne actuelle a été adoptée en 1967, à l'époque de René Barrientos Ortuño, arrivé au pouvoir à la faveur d'un putsch militaire avant d'être élu président. Sa dernière révision date de 1994, insufflée par le président Gonzalo Sánchez de Lozada, qui rallongea notamment le mandat présidentiel de quatre à cinq ans.
Le signal de départ de cette ère de «refondation» a été donné dans l'ancienne capitale coloniale de Sucre, avec aux côtés de Morales le vice-président cubain Carlos Lage. Le représentant du «grand-frère» cubain y a vu un moment «historique» pour l'indépendance non seulement de la Bolivie, mais de la totalité des Amériques.
Les divisions de classe, de race, de géographie et de culture qui encadreront les débats étaient matérialisées dès la prestation de serment des élus jeudi soir: d'un côté de la salle étroite de l'historique Colegio Junín où se réunit l'assemblée constituante, les élus du MAS, nombreux à porter les couleurs vives des indiens aymaras, les chapeaux ronds traditionnels des Boliviennes des hauts-plateaux. De l'autre côté, des élus à la peau bien plus claire dans les rangs desquels domine le costume-cravate... Aux cris d'«autonomie!» des derniers a répondu celui de «révolution!» venu des travées d'en face. Si certains s'inquiètent de ce fossé, d'autres ont fait le choix de l'optimisme, saluant dans ces travaux un exercice de démocratie inédit en Bolivie, comme l'ancien président Eduardo Rodríguez, qui assura l'intérim et convoqua le scrutin qui déboucha sur la victoire de Morales. «Ce que les gens veulent, c'est le sentiment de s'être donnés à eux-mêmes leur propre constitution. C'est le sentiment démocratique», dit-il. «J'espère que je ne me trompe pas.»