Les Américains aux urnes dans cinq semaines - L'Irak comme enjeu électoral

Alors que le débat sur la guerre possible en Irak et le tireur fantôme qui sévit dans la région de Washington occupent l'espace public, le Congrès américain est au plus fort d'une campagne électorale qui nommera un tiers des sénateurs ainsi que l'ensemble des délégués de la Chambre des représentants. C'est dans moins d'un mois, soit le 5 novembre, que les Américains se rendront aux urnes pour voter aux élections de mi-mandat.

Mais de quoi discute-t-on dans ces élections alors que le débat est centré sur la grande question de l'heure: attaquer ou ne pas attaquer l'Irak? Personne ne veut avoir l'air d'exploiter le conflit pour des fins politiques et tous, autant les républicains que les démocrates, affirment que le pays de Saddam Hussein n'est pas — ou ne devrait pas être, selon le parti — un sujet prédominant dans la campagne électorale.

Difficile, quand même, de convaincre le peuple américain que le débat sur l'Irak se déroule en marge des élections. Selon un sondage du New York Times et de CBS News réalisé entre le 3 et le 5 octobre dernier, 57 % des gens interrogés pensent que les membres du Congrès essaient d'utiliser la situation avec l'Irak pour leur propre avantage politique. «Pourquoi doit-on discuter de cette question à ce moment précis?», s'interrogeait un ancien journaliste du New York Times lors d'un débat public sur l'Irak, organisé il y a quelques jours par la New School University de Manhattan. De plus, les questions de sécurité nationale et de terrorisme sont perçues comme des sujets mettant en valeur les républicains.

Avec la résolution sur l'Irak que George W. Bush a fait adopter par le Congrès, le président a situé de façon claire le conflit dans le contexte électoral. Dans les médias, on estime que la seule chance des démocrates était d'adopter cette résolution rapidement pour se garder assez de temps avant le 5 novembre pour réorienter la campagne électorale sur les «vrais enjeux».

Le président, à l'occasion de son discours à la nation de lundi dernier, a affirmé qu'«être d'accord avec cette résolution ne veut pas dire qu'une action militaire soit imminente ou inévitable». Selon John Mason, professeur associé et directeur du département de science politique de l'université William Paterson, au New Jersey, adopter en quatrième vitesse un texte musclé est une erreur de la part des démocrates. «Il faudra vivre avec la portée de cette résolution», dit-il. Dans un éditorial du 3 octobre, le New York Times allait dans le même sens, ajoutant que «les conséquences possibles d'une guerre en Irak ont une portée beaucoup plus grande que les élections de novembre. Le Congrès doit garder cela en mémoire et adopter une vision à long terme». Malgré cela, la résolution a été adoptée par la Chambre des représentants jeudi avec une majorité écrasante. Le Sénat l'a imité hier.

Pas que l'Irak...

Parmi les grands thèmes nationaux mis en avant dans cette élection, il y a tout d'abord la faiblesse de l'économie. Depuis l'élection de Bush, en 2000, la Bourse a perdu des plumes, les scandales financiers se sont accumulés et le chômage a augmenté. La santé, la sécurité sociale et l'éducation sont aussi à l'ordre du jour. Les démocrates, qui avaient misé sur ces thèmes pour faire campagne, se retrouvent, nerveux, avec un débat surtout centré sur l'Irak.

Dans le magazine Newsweek, on décrit Bush comme ayant réussi «de main de maître à coincer les démocrates avec la "sécurité nationale", faisant retentir les mugissements de la guerre dans un débat classique visant à diviser l'opposition et à changer le sujet central des élections — l'économie et la santé [sujet les plus forts des démocrates] — pour un autre qui met en valeur le rôle populaire du président comme commandant en chef».

Il n'est quand même pas impossible d'aborder d'autres thèmes que la guerre. Selon John Mason, les campagnes électorales qui se déroulent loin des grands centres ont plus de facilité à se concentrer sur des enjeux locaux. «Cependant, près de Washington, dans le nord-est des États-Unis, ou en Californie, le débat est plutôt centré sur l'Irak», ajoute-t-il.

Une caricature de Matt Davies, publiée dans The Journal News et reprise par le New York Times du dimanche 29 septembre, illustre bien ce que beaucoup considèrent comme le problème de cette campagne électorale. La caricature montre un Américain devenu sans-abri, assis sur le trottoir avec une affiche autour du cou disant: «Perdu mon emploi, mon régime d'épargne-retraite a fondu, perdu mon assurance-maladie, ma maison. S'il vous plaît, aidez-moi.» Cet homme est interviewé par un sondeur qui lui demande quelle est sa préoccupation principale pour les élections qui arrivent. La réponse: l'Irak.

Malgré la prédominance du débat sur l'Irak, un sondage réalisé par le magazine Newsweek les 26 et 27 septembre révèle que, si des élections avaient eu lieu à ce moment, 47 % des électeurs auraient voté pour le candidat démocrate de leur district, contre 40 % pour les républicains.

Le contrôle du Congrès

Au coeur des élections de mi-mandat, il y a aussi une course serrée pour le contrôle du Congrès. Les républicains de George W. Bush tentent par tous les moyens de garder le contrôle de la Chambre des représentants et veulent regagner leur majorité au Sénat. Rappelons que, lors des élections de 2000, les républicains ont tout raflé: la présidence, la Chambre des représentants et le Sénat, où il y avait égalité entre démocrates et républicains. Égalité qui s'est terminée en 2001, lorsque James M. Jeffords, un sénateur républicain du Vermont, a décidé de devenir indépendant.

Chez les démocrates, malgré une légère avance dans les sondages, on s'attend à un combat serré. Afin d'acquérir la majorité à la Chambre des représentants, ils doivent, en plus de conserver les sièges qu'ils ont déjà, en gagner six autres.

Au Sénat, des 34 postes ouverts pour élection, 20 sont présentement tenus par des républicains et 14 par des démocrates. Les républicains ont donc plus de sièges à défendre. À moins d'un mois des élections, l'issue des campagnes électorales de huit États est toujours impossible à prédire. Ces derniers sont le Dakota du Sud, le New Hampshire, le Texas, l'État de George Bush, le Montana, le Minnesota, le Colorado, l'Arkansas et le New Jersey.

Chaque poste mis en jeu a une importance capitale pour les deux partis et c'est ce qui peut expliquer, en partie, le coup de théâtre qui a eu lieu au début du mois d'octobre dans le New Jersey. Le candidat démocrate Robert G. Torricelli, qui espérait être réélu à son poste de sénateur, a annoncé lundi qu'il se retirait de la course. Le sénateur, surnommé «la Torche», a essuyé des remontrances sérieuses au Congrès, en juillet dernier, pour avoir accepté des cadeaux inappropriés. Torricelli a finalement décidé de rendre les armes, à cinq semaines des élections, et c'est l'ancien sénateur Frank R. Lautenberg qui prend la relève. Une raison de plus d'être nerveux chez les démocrates, qui ne croyaient pas que ce siège allait être contesté.

Les élections de mi-mandat sont, pour la population américaine, l'occasion de donner son appréciation sur l'administration au pouvoir. Traditionnellement, le parti du président perd des sièges à la mi-mandat. Si on repense au déroulement peu orthodoxe des élections présidentielles de 2000, on peut facilement croire que George W. Bush, malgré sa popularité auprès des Américains, «veut profiter de ce scrutin pour se faire légitimer», comme le pense John Mason.

Cette année, difficile d'anticiper les résultats. Le peuple américain a été d'accord pour s'engager dans la guerre au terrorisme mais est plus sceptique quant à l'issue d'une guerre possible avec l'Irak. Dimanche dernier, environ 20 000 personnes se sont rendues à Central Park, à New York, pour exprimer leur désaccord avec la politique de Bush vis-à-vis de l'Irak. Dans d'autres villes des États-Unis, des rassemblements similaires ont eu lieu, organisés par le groupe Not in Our Name. D'autres voix se font aussi entendre, notamment dans les journaux, où des organismes achètent des pages entières de publicité pour exprimer leur désaccord avec la politique du gouvernement sur l'Irak. «Je trouve que d'amener le pays au bord d'une guerre [...] cinq semaines avant une élection, c'est discutable et surtout très inquiétant», a dit la chanteuse Barbra Streisand, le 29 septembre dernier, dans une déclaration qui a fait le tour des médias américains.

Selon un sondage CNN-USA Today-Gallup réalisé entre le 3 et le 6 octobre, l'économie et l'Irak sont maintenant pratiquement à égalité comme sujet le plus important dans les élections de novembre. Il y a fort à parier que, si les électeurs votent avec la situation économique en tête, les démocrates sortiront gagnants. Par contre, si Bush réussit à convaincre les Américains que l'Irak est un danger imminent pour la sécurité du pays, son parti pourrait bien remporter ces élections. À suivre.

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