Le Pakistan vote... et puis après?

Islamabad - Quelque 72 millions d'électeurs pakistanais ont commencé à se rendre aux urnes hier sous haute surveillance. Plus de 200 000 membres des forces de sécurité ont été déployés à travers le pays dans la crainte d'actes de violence comme le Pakistan en a connu depuis un an.

Ordonnées par la Cour suprême trois ans après le coup d'État militaire du 12 octobre 1999 qui avait renversé le premier ministre élu, Nawaz Sharif, et porté au pouvoir le chef de l'armée, le général Pervez Moucharraf, ces élections sont censées conduire au retour d'un régime démocratique.

Mais le général Moucharraf s'est déjà fait confirmer pour cinq ans à la présidence du pays par un référendum contesté, en avril. D'une manière tout aussi discutable, il a promulgué une série d'amendements constitutionnels de nature à assurer la pérennité du pouvoir à l'armée, en tant qu'institution, et à lui-même. En conséquence, la marge de manoeuvre du Parlement prochainement élu, qui pourra (comme le premier ministre) être renvoyé par le président, sera beaucoup plus étroite que celle de ses prédécesseurs. Quel qu'il soit, le premier ministre travaillera ainsi sous la surveillance du président.

Dans un discours très peu démocratique (prononcé 24 heures après la clôture de la campagne électorale), le général Moucharraf a toutefois promis aux 140 millions de Pakistanais, mercredi soir, «l'avènement d'un nouveau et meilleur système démocratique». Intervenant en uniforme militaire et durant 30 minutes, le général s'est félicité de la «bonne administration» des trois ans de son régime. Il a promis de «transférer complètement le pouvoir au premier ministre» tout en posant des limites à l'action du gouvernement. Celui-ci ne devra pas compromettre «l'intégrité et la solidarité» du Pakistan et devra «être libre de corruption». C'est toutefois le président qui décidera, avec l'aide du Conseil national de sécurité, des critères de jugement à appliquer à l'action du gouvernement.

Le président Moucharraf a aussi lancé un vibrant appel aux électeurs pour qu'ils se rendent aux urnes, promettant des «élections libres, justes et transparentes». Près de 300 observateurs de l'Union européenne, du Commonwealth, de l'Asie du Sud et des États-Unis, ainsi qu'environ 400 observateurs locaux des organisations non gouvernementales, sont déployés au Pakistan pour suivre ce scrutin.

Candidats exclus

Selon un rapport très défavorable de l'International Crisis Group, «à peu près la moitié des membres de l'Assemblée fédérale et des quatre assemblées provinciales ont été exclus» du scrutin actuel à cause d'un décret obligeant tout candidat à posséder une formation universitaire. Les autorités pakistanaises semblent aussi avoir été particulièrement atteintes par le rapport également critique de la très respectée Commission des droits de l'homme du Pakistan. Détaillant les nombreuses plaintes reçues de divers côtés avant le scrutin, son rapport conclut: «La Commission des droits de l'homme du Pakistan ne trouve aucun motif d'un quelconque optimisme pour croire que les élections du 10 octobre conduiront à la fin du régime militaire, amélioreront le statut de soumission des institutions, comme la justice, et permettront au Parlement de jouer son rôle d'institution indépendante et souveraine.»

Le taux de participation est l'un des enjeux de ces élections tant la campagne — en l'absence des deux ténors de la politique récente du Pakistan, Benazir Bhutto et Nawaz Sharif, tous les deux en exil — a été morne. À Rawalpindi, une heure après l'ouverture des bureaux de vote, personne ne se bousculait pour se rendre aux urnes. Lors des dernières élections, en 1997, le taux de participation s'était élevé à 35 %. Les analystes situent entre 35 et 40 % un taux respectable de participation. Les résultats ne devraient pas être connus avant ce soir.

Chacun s'attend à un Parlement éclaté, où tout se jouera sur les alliances. Ceci donnera un rôle peut-être non négligeable à des partis régionaux comme le Muttahida Quami Movement (MQM), qui représente les musulmans venus de l'Inde lors de la partition, très implanté à Karachi. La question cruciale est de savoir qui arrivera en tête et si la Ligue musulmane du Pakistan tendance Qaid-e-Azam, soutenue par le pouvoir, sera en mesure de faire alliance avec des indépendants, dont certains sont aussi soutenus discrètement par les militaires, ou si elle devra s'allier à d'autres partis. Un autre scénario, l'alliance des deux grands partis, le PPP de Mme Bhutto et la PML de Nawaz Sharif, serait plus délicat pour le pouvoir militaire.

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