À Mogadiscio, plus de 60 personnes sont mortes dans des combats la semaine dernière - Une guerre pour le contrôle d'un État fantôme

Les affrontements se sont poursuivis hier en Somalie tout près de la capitale Mogadiscio. L'alliance de chefs de guerre soutenue par les États-Unis a attaqué hier une base des milices des tribunaux islamiques à la sortie nord de la capitale, faisant trois tués, après avoir perdu la veille une position clé dans la bataille pour le contrôle de la capitale.

C'est l'un des champs de bataille de la «grande guerre contre le terrorisme», pas le plus médiatisé mais pas le moins meurtrier. À Mogadiscio, plus de 60 personnes sont mortes dans des combats la semaine dernière, près de 300 en trois mois et demi. Depuis lundi, un fragile cessez-le-feu prévaut dans la capitale somalienne mais, mercredi, des miliciens aux ordres de chefs de guerre se sont installés avec des armes lourdes dans le principal hôpital de Mogadiscio, obligeant les patients à quitter les lieux.

Cette éruption de violence, la plus meurtrière depuis le début des années 90, n'a rien à voir avec les habituelles guerres de clans somaliens. Il s'agit bel et bien d'un combat planétaire qui se joue dans les ruelles poussiéreuses de la capitale fantomatique d'un État inexistant.

D'un côté, les «tribunaux islamiques», regroupement hétéroclite de chefs religieux musulmans, d'extrémistes islamistes, dont certains apparentés à al-Qaïda, de clans locaux et d'hommes d'affaires lassés du racket et de l'anarchie. Sur le modèle des talibans afghans, les «tribunaux islamiques», qui ont le vent en poupe depuis 2004, profitent du chaos régnant en Somalie depuis la chute de Siad Barré en 1991 et le piteux retrait des soldats américains à la suite de la désastreuse équipée militaro-humanitaire de 1992-93. Partout où ils s'installent, ils instaurent un semblant d'ordre et de justice — islamique, bien sûr, et très rigoriste. D'après un rapport d'experts de l'ONU publié le 10 mai, les combattants des tribunaux, très aguerris et n'hésitant pas à décapiter leurs ennemis, contrôleraient 80 % de Mogadiscio, estimation qui semble exagérée.

Dans le camp adverse se trouve l'Alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme (ARPCT), une coalition de chefs de guerre fondée le 18 février et soutenue de moins en moins discrètement par les États-Unis. La Maison-Blanche a reconnu la semaine dernière aider des «partenaires» pour empêcher al-Qaïda d'établir une «tête de pont» en Somalie. Résultat, Washington finance ceux-là mêmes qui avaient massacré une vingtaine de «boys» les 3 et 4 octobre 1993 et poussé les Américains vers la sortie alors qu'ils étaient venus «sécuriser» l'aide humanitaire à une population affamée et décimée par les chefs de guerre.

Le revirement est tel qu'il donne la mesure de l'enjeu, vu de Washington. Une prise de contrôle de la Somalie par les «tribunaux islamiques» reviendrait à laisser créer un nouvel Afghanistan dans la Corne de l'Afrique.

Les services de renseignements occidentaux estiment que «trois ou quatre» responsables des attentats (224 morts) contre les ambassades américaines de Nairobi et de Dar al-Salam, en août 1998, se sont fondus parmi les «tribunaux islamiques». La Somalie pourrait aussi avoir servi de base arrière à l'attentat raté contre un avion israélien à Mombasa, au Kenya, et celui contre un hôtel fréquenté par des touristes israéliens (18 morts) en novembre 2002. Sans oublier l'un des auteurs de l'attentat raté de Londres, en juillet dernier, qui était un Éthiopien musulman. Washington est déjà très présent dans la région par l'entremise d'une base militaire à Djibouti, où sont stationnés 1500 soldats américains et d'importants moyens de surveillance.

Financés notamment par des donateurs du Golfe, les «tribunaux islamiques» sont approvisionnés en armes entre autres par l'Érythrée, dont le grand ennemi dans la région, l'Éthiopie, soutient les chefs de guerre de l'ARPCT. La Somalie est pourtant soumise à un embargo de l'ONU sur les armes.

Pour ne rien simplifier, plusieurs leaders de l'Alliance sont membres du gouvernement de transition. Le président somalien, Abdullahi Yusuf Ahmed, et son premier ministre, Ali Mohamed Gedi, installés à Baïdoa en raison de l'insécurité qui règne à Mogadiscio, ont condamné les chefs de guerre, qui ne cessent de miner la légitimité et le pouvoir de «l'État central» qu'ils sont censés représenter. Mais en soutenant ces chefs de guerre honnis par la population, Washington risque fort d'aboutir au contraire du résultat escompté et renforcer la popularité des «talibans» version somalienne.

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