Les Turcs se mobilisent pour défendre la laïcité

Ankara — Des dizaines de milliers de Turcs ont manifesté leur soutien à la laïcité hier à Ankara et conspué le gouvernement islamo-conservateur au lendemain d'une attaque visant le Conseil d'État, bastion de la laïcité, qui a coûté la vie à un magistrat.
Plus de 20 000 personnes ont assisté aux obsèques de Mustafa Yücel Özbilgin, un juge âgé de 64 ans, tué mercredi par un tireur isolé qui a affirmé, selon des témoins, avoir agi au nom de Dieu.L'assaillant, Alparslan Arslan, un avocat de 29 ans, a blessé quatre autres magistrats du Conseil d'État, une institution connue pour la fermeté avec laquelle elle fait respecter l'interdiction du port du voile islamique dans la fonction publique et les universités.
Les manifestants, réunis sur l'esplanade de la mosquée de Kocatepe, la plus grande d'Ankara, ont violemment conspué les membres du gouvernement venus participer à la cérémonie. Le ministre de l'Intérieur, Abdulkadir Aksu, a été visé par des jets de bouteilles en plastique, le vice-premier ministre Abdullatif Sener étant pour sa part accueilli aux cris de «Que viens-tu faire ici, sans honneur?».
L'absence du premier ministre Recep Tayyip Erdogan — en visite dans la ville balnéaire d'Antalya, selon son programme officiel — aux obsèques du juge a été commentée avec âpreté par les manifestants.
Dans la matinée, une foule de plus de 25 000 personnes avait afflué au mausolée de Mustafa Kemal Atatürk (1881-1938), fondateur de la Turquie moderne et laïque, pour afficher son attachement aux valeurs de la République. Des centaines de magistrats et d'avocats revêtus de leurs robes et une vaste foule de simple citoyens se sont inclinés sur la tombe d'Atatürk au cours de cette manifestation conduite par les chefs des principales instances judiciaires.
Le gouvernement islamo-conservateur du premier ministre Recep Tayyip Erdogan est montré du doigt car M. Erdogan, un ancien militant islamiste dont l'épouse et les deux filles sont voilées, s'en était publiquement pris aux décisions du Conseil sur le port du foulard.
La presse libérale accusait ouvertement hier le gouvernement d'avoir implicitement encouragé cette attaque, le quotidien Milliyet exhortant le cabinet de M. Erdogan à renoncer à «provoquer des tensions» au sein de la société turque, à écrasante majorité musulmane.
Le port du voile, strictement interdit dans la fonction publique et les universités, est perçu par les milieux laïques, dont la puissante armée qui se considère garante de la laïcité, comme un signe ostentatoire de soutien à l'islam politique.