Feu vert à l'Europe des 25

La Commission européenne a donné hier son feu vert à l'entrée de dix nouveaux pays dans l'UE qui, malgré les obstacles qui restent à surmonter, devrait compter 25 membres en 2004. Dans un rapport très attendu sur l'élargissement, la Commission a en revanche choisi l'attentisme pour la Turquie en ne proposant pas de date pour l'ouverture de négociations d'adhésion malgré les appels répétés d'Ankara dans ce sens.

Bruxelles - Ils sont dix, ils sont pauvres, ils ont une forte population agricole. Et à lire le rapport présenté officiellement hier à Bruxelles par la Commission européenne avant la dernière phase des négociations d'élargissement, qui s'achève en décembre, il est désormais acquis, sauf blocage politique, qu'ils entreront dans l'Union en 2004.

L'adhésion de ces dix pays — huit anciens pays communistes (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Slovénie, républiques baltes) auxquels s'ajoutent Malte et Chypre — pourrait coûter très cher, redoutent certains.

Pourtant, la proposition de la Commission, jugée encore trop généreuse par certains États membres, ne prévoit de consacrer pour les nouveaux entrants que 40 milliards d'euros sur trois ans, de 2004 à 2006... Une somme inférieure à 0,15 % du produit intérieur brut (PIB) des Quinze.

Nouveaux contributeurs

Il convient en outre de déduire des 40 milliards la quinzaine de milliards que ces dix pays sont censés payer au budget de Bruxelles. Plus gênant, comme il existe un décalage dans le temps entre le moment où on a droit à une aide et celui où on l'encaisse effectivement, les candidats pourraient avoir à débourser de la trésorerie en 2004 et toucher cash moins de neuf milliards sur trois ans. Les Quinze cherchent une solution à ce problème. Chypre, Malte et la Slovénie, relativement riches et faiblement agricoles, pourraient devenir rapidement contributeurs nets au budget européen, c'est-à-dire payer plus qu'ils n'en reçoivent.

De 2004 à 2006, les deux tiers des sommes allouées iront aux aides régionales et structurelles. Un quart sera consacré à la politique agricole commune (PAC) et le solde sera réservé à moderniser les administrations ou à la sécurisation des centrales nucléaires.

Ce faible coût s'explique facilement. La population de ces pays n'est que de 75 millions d'habitants, dont la moitié en Pologne, contre 380 millions chez les Quinze. Leur PIB cumulé est inférieur à celui des Pays-Bas et n'atteint pas 5 % de celui des Quinze. Construire un pont en Lettonie ou aider un agriculteur polonais coûte beaucoup moins cher qu'en Suède.

Bref, ces pays relativement peu peuplés sont tellement pauvres qu'il ne coûtera pas très cher, au début, de les aider. D'autant qu'ils n'auront que progressivement les mêmes droits que ceux de l'Ouest.

En revanche, même si on part de très bas, l'addition peut s'envoler après 2007, surtout si huit millions de Bulgares et 22 millions de Roumains, très pauvres et très ruraux, rejoignent l'Union en 2007.Mais plus ces pays — dont le PIB par habitant est aujourd'hui inférieur à 40 % de la moyenne des Quinze — rattraperont les autres, plus la politique régionale coûtera cher. Or ce rattrapage peut être relativement rapide: l'Irlande est un des pays les plus riches de l'Union tandis que Grèce, Espagne et Portugal ont vu leur PIB par habitant progresser très rapidement dans les années 90.

Il faut attendre

En agriculture, si la proposition de la Commission est acceptée, il faudra atteindre 2013 pour que les agriculteurs de l'Est aient les mêmes droits que ceux de l'Ouest. Mais déjà, on s'inquiète du coût de la PAC à terme si on donne aux agriculteurs polonais et hongrois le même niveau de vie qu'à ceux de France ou du Danemark.

Ces sujets auraient dû être traités de front avec l'élargissement. Commission et États membres ont refusé d'en parler: c'eût été ouvrir la boîte de Pandore. L'élargissement aurait été pris en otage par la fixation du budget européen pour la période 2007-13, la réforme de la PAC, de la politique structurelle. La grande empoignade ne commencera qu'en 2004, quand la Commission présentera ses premières propositions.

L'élargissement s'organise par ailleurs sans connaître les conclusions de la Convention sur l'avenir de l'Europe. L'état d'esprit actuel est plus au libre-échange qu'à la générosité. Un tabou semble inviolable: celui qui prévoit que le budget européen ne doit pas dépasser 1,27 % du PIB — la dépense réelle actuelle des Quinze n'est que de 1 %. Si la convention ne le modifie pas, c'est à l'intérieur de ce cadre étroit qu'il faudra faire des choix. La bataille sera rude, chacun voulant défendre ses intérêts.

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