Roman québécois - Renaissance à l'italienne

«Chaque voyage est une tentation de ne plus jamais revenir», fait remarquer avec aplomb le narrateur du dernier roman de Louis Lefebvre, écrivain au regard d'entomologiste qui capte, épingle, fixe. Son quatrième roman, après Le Collier d'Hurracan, Guanahani et Table rase (Boréal, 1990, 1992 et 2004), raconte la quête d'un homme qui tente, dans une Italie de carton-pâte qui lui révélera peu à peu ses charmes millénaires, de recomposer l'identité floue de son propre père.

Échoué à Sienne en plein mois d'août 1980, après avoir abandonné un congrès de génétique qui se tenait à Bologne, Jean-François Beaupré débarque au milieu des préparatifs du Palio (une célèbre course de chevaux qui se déroule chaque année dans le coeur en forme de coquillage de cette ville toscane). L'Italie? «Un masque de carnaval vénitien sous lequel il y avait un autre masque, et un autre en dessous, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on arrive au squelette antique sans jamais rencontrer de visage.»

Homme plutôt absent, voyageur de commerce et importateur de sacs en cuir italiens, l'homme séjournait chaque année dans un minuscule village de la région. Après sa mort, il y a quelques années, Jean-François avait fait la découverte d'un paquet de lettres qui lui ont révélé l'existence d'une femme, fille de son fournisseur italien, avec qui son père a entretenu durant de longues années une relation plutôt intime. Lui révélant du coup l'image parfaitement inédite d'un homme sans doute capable de passion, certainement de profondeur et de liberté, sous une surface mortellement prévisible et sans relief.

La rencontre d'une jeune Québécoise de 24 ans, qui visite l'Italie des musées avec son copain «borderline» (rencontre somme toute accessoire), lui servira de révélateur dans cette recherche sinueuse qui se transformera rapidement en quête de soi. Quelle vérité essentielle pourrait lui révéler cette femme inconnue qui semble avoir autrefois aimé ce père qu'il connaissait mal? «Que tu es le fils secret d'un homme libre et que tu es donc destiné à une liberté plus grande que tu t'es donnée jusqu'ici?»

Et comme dans certaines fresques gothiques, à l'instar de la Maestà de Duccio que l'on peut voir à Sienne — où c'est le troisième ange à partir de la gauche, parce qu'il regarde du mauvais côté, qui symbolise la liberté du peintre —, on y apprend que la vérité est souvent à chercher dans les marges, parmi les personnages secondaires, chez les fous et les enfants, lorsque le temps s'arrête ou que les sentiers bifurquent.

Toutes ces rencontres et chacun de ces questionnements l'amèneront à remettre en question sa propre existence, ses choix professionnels, son cynisme léger et jusqu'au désir de sa compagne d'avoir un enfant. Une «renaissance» à l'italienne... C'est ainsi que celui qui reviendra à Montréal, après ce voyage où l'imprévu l'emporte sur l'ennui d'une existence balisée, ne sera plus tout à fait le même homme. Mais malgré l'art, la vie, l'Italie et d'évidentes qualités d'écriture, Le Troisième Ange à gauche ne risque pas de faire de l'ombre aux premières oeuvres que Louis Lefebvre nous a données il y a déjà une quinzaine d'années.

Collaborateur du Devoir

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LE TROISIÈME ANGE À GAUCHE

Louis Lefebvre

Boréal

Montréal, 2005, 268 pages

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