Notre sélection bédé du mois de juin

De l’importance de la vérité
C’est en 1992 que Gord Hill, membre de la nation Kwakwaka’wakw, artiste, auteur et militant impliqué dans les mouvements autochtones et altermondialistes, publiait pour la première fois, sous forme d’essai, son texte 500 ans de résistance autochtone. Depuis, l’ouvrage est devenu une bande dessinée, publiée originalement en 2010 avant d’être complètement remaniée pour cette édition, aux dessins refaits et en couleurs. Dans cette oeuvre, l’artiste basé à Vancouver fait un exceptionnel travail de décolonisation de l’histoire en présentant, du point de vue des nations autochtones, les différentes et nombreuses luttes qui les ont opposées aux colons venus s’installer sur leurs territoires, de Christophe Colomb, en 1492, à aujourd’hui. Cet album, extrêmement riche en détails historiques, fait l’effet d’un coup de poing en plein visage et représente, à notre avis, un contrepoids nécessaire à ce que l’on pourrait qualifier d’histoire officielle. Nous avons affaire, ici, à une oeuvre importante.
François Lemay
500 ans de résistance autochtone
★★★★
Gord Hill, traduit par Marie C. Scholl-Dimanche, Prise de parole, Sudbury, 2023, 133 pages
Bienvenue à Sorel-sur-Poussière
Pas assez occupé avec l’adaptation au cinéma pour 2024 de son album Vil et misérable (Pow Pow, 2013) et celle chez Duceppe prévue en novembre de Whitehorse (Pow Pow, 2015 et 2017), voilà que Samuel Cantin nous propose un western déjanté, drôle, avec un esprit gamin décalé comme il en a le secret. Avec « Il y a quelque chose de poussiéreux à Sorel-sur-Poussière », le premier tome de sa série Shérif Junior, Cantin nous donne une relecture tout à fait réjouissante des codes du western, avec ce personnage de Shérif, âgé de 11 ans, qui doit veiller au bon fonctionnement de son hameau aux prises avec une maléfique fratrie, laquelle réussit à enjôler la population avec une mystérieuse poussière dont les vertus ne sont pas sans rappeler celles de la cocaïne. Un dessin nerveux vient appuyer le côté enfantin de la démarche, mais c’est surtout le texte que l’on retient, avec ses dialogues rythmés et ses références qui, parfois, nous frappent avec quelques secondes de retard. Pour notre grand plaisir !
François Lemay
Il y a quelque chose de poussiéreux à Sorel-sur-Poussière, Shérif Junior tome 1
★★★1/2
Samuel Cantin, Pow Pow, Montréal, 2023, 450 pages
Des corneilles loin d’être bêtes
Cette histoire vraie au titre poétique dépeint la relation profonde entre la timide Marie-Lan Taÿ Pamart et les corneilles du Jardin des plantes, à Paris. Depuis qu’elle a rencontré un biologiste du Muséum d’histoire naturelle chargé de surveiller les corvidés, l’adolescente se passionne pour ces oiseaux, dont elle découvre l’intelligence hors du commun et l’incroyable faculté d’adaptation. On apprend ainsi qu’ils sont bigames, pratiquent le « chant des morts » et peuvent fabriquer des outils ! Le journaliste Geoffrey Le Guilcher et la dessinatrice Camille Royer livrent un roman graphique en forme d’enquête urbaine « sur le monde caché de ces oiseaux noirs » à travers le regard d’une « geek asociale ». Or, à force de côtoyer les corneilles, l’ornithologue amateur se lie d’amitié avec plusieurs spécimens à plumes, dont Bob et Alice, qui forment un couple étonnant. Plus qu’un récit éducatif sur les volatiles, les auteurs proposent un magnifique récit initiatique empli de tendresse et de sensibilité.
Ismaël Houdassine
La femme corneille
★★★1/2
Geoffrey Le Guilcher et Camille Royer, Futuropolis, Paris, 2023, 160 pages
Un classique qui en met plein la vue
Curieusement, le monumental Autant en emporte le vent n’avait jamais connu de version bédé. Plus de 80 ans plus tard, Pierre Alary arrive avec un premier tome personnel et moderne. Le bédéiste français s’attaque avec un certain courage à ce classique de la littérature américaine de Margaret Mitchell, paru en 1936 et magnifié en 1939 au cinéma par Victor Fleming. Faisant fi des controverses entourant le contenu jugé raciste du roman original, il se concentre sur Scarlett O’Hara, jeune bourgeoise sudiste égoïste et frivole, secrètement amoureuse d’un homme promis à une autre femme. Alors que la guerre de Sécession fait rage, l’héroïne, qui entretient une relation d’amour-haine avec le cynique Rhett Butler, révèle au fil des dangers et des trahisons un tout autre caractère. Les dessins précis, les teintes enflammées et les dialogues coupés au scalpel ne restituent pas seulement le grandiose de cette fresque romanesque, ils insufflent également une dose d’humanité à tous les personnages.
Ismaël Houssadine
Gone With the Wind, tome 1
★★★
Pierre Alary, Rue de Sèvres, Paris, 2023, 150 pages