Adresser

Je reviens de trois semaines en France. J’ai fait une résidence de traduction à Arles, participé à une soirée de poésie à Lyon, assisté à une lecture à la Villa Gillet, où Natasha Kanapé Fontaine et Laura Vazquez ont donné une leçon de poésie à l’assemblée suspendue à leurs vers, vu un vivifiant micro ouvert à Paris, où j’ai été invitée par la sémillante Stéphanie Vovor : jeune autrice dont il faudra suivre le travail avec attention.
J’étais d’abord partie de Toronto, neuf heures de train pour passer une nuit à Québec où j’ai eu la joie de participer à un club de lecture où la poète Valérie Forgues avait mis mon dernier livre, Sainte Chloé de l’amour, au programme. J’ai eu envie de pleurer, comme parfois, ayant l’impression que les gens arrivaient à voir, vraiment voir, ce que j’avais voulu transmettre. Je ne sais jamais vraiment à qui je m’adresse quand je m’écris, et, quelque part, je suis toujours surprise que des « lecteurices » puissent me recevoir. Parce que le monde me paraît étroit, violent, la générosité du regard des uns me porte réellement.
Le lendemain, j’ai pris l’avion pour Montréal, puis de Montréal à Paris, puis de Paris à Marseille, où j’ai monté à bord d’un train pour arriver à Arles. Je ne suis partie qu’avec un sac à dos et une petite valise, pour ne pas avoir à traîner trop lourd de lieu en lieu. Ma copine, connaissant mon amour des brocantes et des vêtements, m’a demandé avant de partir si j’allais être capable de résister aux boutiques de Paris : comment tout ça allait entrer dans ma valise ? J’allais devoir être sage ; je ne l’ai pas été.
J’ai à peu près résisté aux fripes, mais suis revenue à Toronto avec une bonne vingtaine de nouveaux livres, en m’assoyant de tout mon poids sur ma valise pour arriver à la zipper. J’ai rapporté Vanités, de Marie de Quatrebarbes, le nouveau Françoise Vergès, pensant qu’il n’était pas encore arrivé de ce côté-ci de l’océan (j’avais tort), Selfie. Comment le capitalisme contrôle nos vies, de Jennifer Padjemi, et beaucoup d’autres, et aussi un livre mystérieux, dont je n’avais pas entendu parler, acheté à la librairie Actes Sud à Arles, Les lettres ordinaires, d’Adrianna Wallis et Arlette Farge.
Adrianna Wallis, artiste visuelle et de performance, a réussi à obtenir de la poste française des boîtes et des boîtes de lettres dont les destinataires n’ont jamais pu être retrouvés. Dans son livre, elle recopie, en conservant l’anonymat de qui les a rédigés, des lettres de femmes en désintox à leur enfant, des missives à des vedettes mortes, des mots érotiques ; une lettre où quelqu’un a recopié sur une page entière le mot « seul ».
Décrivant son processus artistique, s’interrogeant sur l’éthique derrière sa pratique, elle nous offre ainsi l’accès à ces lettres aux calligraphies diverses — parfois illisibles —, qui renferment détresse, colère, amour. C’est fascinant, et ce livre a accompagné ma petite mélancolie de femme qui voyage seule.
Un jour, en attendant le train à Lyon, j’ai trouvé un bureau de poste où envoyer une carte. Je l’ai affranchie, j’ai, comme chaque fois que j’envoie une lettre à quelqu’un, soufflé mon affection au papier, et j’ai pensé un peu plus à toutes les mains qui feront en sorte que cette lettre trouvera bien la personne à qui je l’adressais, elle que j’aime et qui, je le sais, arrive toujours à me lire.