La littérature autochtone, plus qu’une saveur du mois

Jocelyn Sioui présente son tout nouveau spectacle, «Frétillant et agile», dans le cadre de l’événement En juin: je lis autochtone! et est finaliste aux prix Voix autochtones dans la catégorie prose francophone.
Photo: ​Marie-France Coallier Le Devoir Jocelyn Sioui présente son tout nouveau spectacle, «Frétillant et agile», dans le cadre de l’événement En juin: je lis autochtone! et est finaliste aux prix Voix autochtones dans la catégorie prose francophone.

Lancée le week-end dernier au Salon du livre de l’Abitibi-Témiscamingue (SLAT), la troisième édition d’En juin : je lis autochtone ! semble déjà avoir le vent dans les voiles selon les créateurs de l’événement, Daniel et Cassandre Sioui, propriétaires de la librairie et des éditions Hannenorak à Wendake.

« C’est la première année qu’on s’associe avec le SLAT, explique Daniel Sioui. Même si on n’était pas encore en juin, on trouvait que c’était une super bonne idée étant donné qu’il y avait une belle programmation autochtone. Je n’étais pas présent, mais en regardant les chiffres de ventes, je sais qu’il y a un grand engouement pour les littératures autochtones. »

De fait, outre le succès phénoménal du roman Kukum (Stanké, 2019), de Michel Jean, toujours très populaireen librairie, rappelons la vague d’amour que suscite la poète Joséphine Bacon (Uiesh. Quelque part, Mémoire d’encrier, 2018), le Prix des collégiens remporté en 2020 par Shuni (Mémoire d’encrier, 2019), de Naomi Fontaine, à qui l’on doit aussi Kuessipan (Mémoire d’encrier, 2013), magnifiquement porté à l’écran par Myriam Verreault en 2019.

« Si je compare les cinq dernières années avec l’époque où j’ai commencé ma carrière, il y a 20 ans, quand je m’intéressais moins à la culture autochtone, c’est exponentiel !, constate l’artiste Jocelyn Sioui, qui vit à Montréal. En Gaspésie, mes salles sont pleines ; cette année, j’ai présentéMononk Jules cinq soirs à Vancouver, où je ne suis pas connu du tout, et la salle était pleine. Pour quelqu’un dont le visage n’est pas connu, j’étais marionnettiste à la base et je travaillais beaucoup dans l’underground, d’arriver à remplir une salle, c’est la preuve que ça intéresse les gens. »

Dès la première édition de Je lis autochtone !, Daniel et Cassandre Sioui ont été surpris par la réponse enthousiaste des libraires : « Tout le monde embarque ! s’exclame Daniel Sioui, qui a également créé Kwahiatonhk ! – Salon du livre des Premières Nations, dont la 12e édition se déroulera à Québec, du 16 au 19 novembre 2023. On n’a pas eu le choix de continuer, on ne pensait pas que ce serait aussi gros. »

« La première année, c’était un peu la folie, renchérit Cassandre Sioui. L’un des distributeurs avec lesquels on faisait affaire nous disait que dans les librairies où il y avait une mise en place des littératures autochtones, c’était leur meilleur rendement de toute l’année. »

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir

Qui lit autochtone ?

Au Québec, on compte 11 peuples autochtones, ce qui signifie 11 langues et 11 littératures. Or, qui s’y intéresse réellement ? Les Autochtones ou les allochtones ?

« Monsieur et madame Tout-le-Monde ! répond sans hésiter Jocelyn Sioui. Exactement comme n’importe quelle autre littérature. Il y a de tous les genres, poésie, polar, bédé, donc ça attire tout plein de monde. C’est plus difficile du côté des Autochtones peut-être parce que l’éducation n’est pas la même, car, ce n’est pas une critique, mais un constat, moins il y a d’études, moins il y a de lecteurs, mais ça tend à changer. »

Depuis 2009, année de la fondation de la librairie Hannenorak, les lecteurs aussi ont changé. Aux touristes attirés par le folklore se sont succédé des lecteurs avisés, tant du côté des Wendats que des autres communautés autochtones et des allochtones.

 

« Chaque personne peut trouver un intérêt, tout dépendant du type de livre qui les intéresse, explique Cassandre Sioui. Un jeune Attikamek peut prendre une bande dessinée de Gord Hill comme porte d’entrée puis se tourner vers la poésie. Les Québécois, qui vont peut-être commencer par Kukum, parce que c’est le livre dont ils ont entendu le plus parler, peuvent ensuite aller vers J.D. Kurtness ou vers Virginia Pésémapéo Bordeleau. En découvrant la littérature autochtone, ils constatent qu’il y a une littérature wendate, une littérature innue, une littérature inuite… »

Si chacune de ces littératures possède ses propres spécificités, les trois Wendats s’entendent pour dire que dans chacune d’elles, l’humour, parfois politiquement incorrect, parfois teinté d’une bonne dose d’ironie ou d’autodérision, y tient une place de choix. Sans oublier la figure du Trickster, qui apparaît dans les cultures autochtones d’un océan à l’autre.

« Dans beaucoup de livres, je remarque une volonté de ne pas trop se prendre au sérieux, affirme Jocelyn Sioui. La relation avec le territoire revient pas mal dans toutes les nations. Peut-être parce que la poésie est plus près du rythme de la nature, il y a beaucoup de poètes chez les Innus et aussi chez les Wendats. La transmission est un trait commun aux littératures autochtones, de même que les valeurs traditionnelles, comme le rapport aux autres, la protection de l’environnement. Je pense que les revendications politiques sont plus propres aux Wendats ; avec Louis-Karl Picard-Sioui, on en fait. »

Au-delà de l’humour, des thèmes et des genres exploités, les littératures des différentes nations expriment la fierté d’être autochtone, hors réserve ou pas.

« On sent aussi la fierté de pouvoir parler sa langue, confirme Daniel Sioui, qui regrette de ne pas parler le wendat. On a quand même peur que les langues disparaissent. C’est par les arts, et ça, le Québec le sait, qu’on peut faire vivre sa langue. C’est pour ça qu’on est content de voir la résurgence des arts autochtones. On rêve qu’il y ait d’autres maisons d’édition autochtones, qu’il y ait une relève parce qu’on ne sera pas là éternellement. »

« Quand la langue t’habite depuis toujours, cela transparaît dans l’écriture, pense Jocelyn Sioui. Je le sens dans le rythme de Joséphine Bacon, qui est Innue. Même moi, qui ne maîtrise pas le wendat, j’apprends des mots en wendat et cela teinte mon écriture, ma réflexion parce que je découvre un autre sens aux mots, l’ours et l’arbre, par exemple. »

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir

Instinct de survie

Ce regain d’intérêt pour la culture autochtone serait lié à la découverte des sépultures anonymes près des pensionnats pour Autochtones à travers le Canada et du décès de Joyce Echaquan, une Attikamek victime de racisme systémique en 2020.

« Malheureusement, ça prend parfois des tragédies pour que les gens se rapprochent, croit Cassandre Sioui. Ce qui s’est passé avec Joyce Echaquan a été un électrochoc. Peu importe notre nation, on est solidaires. À la marche pour le climat avec Greta Thunberg, il y avait des Autochtones de partout au Canada. »

« Avec les pensionnats, les gens ont compris qu’il leur manquait un bout de leur histoire, rappelle Jocelyn Sioui. Il faut comprendre ce qui s’est passé pour s’intéresser à l’autre. Ça prend du temps pour ça. Avant, il n’y avait presque pas de place dans les médias pour les Autochtones. Maintenant, il y a des nouvelles trois ou quatre fois par semaine. C’est nouveau pour nous, et c’est fantastique. »

Si Je lis autochtone ! occupe le territoire québécois, avec une petite incursion en Ontario, Daniel Sioui ne serait pas contre l’idée de s’associer à un éditeur anglophone afin que l’initiative devienne pancanadienne. D’ici là, à l’instar d’autres membres des différentes nations, il devra veiller à ce que cet intérêt pour la culture autochtone perdure.

« Depuis une dizaine d’années, on a travaillé fort pour qu’il y ait une présence autochtone dans les théâtres, les librairies, les écoles. Je vais tout faire pour que l’avenir soit brillant. Je suis très positif dans la vie et je me dis que ce qu’on a gagné, on ne va pas le perdre. Je refuse que ce ne soit qu’un effet de mode, qu’on soit la “saveur du mois” », conclut Jocelyn Sioui.

Jusqu’au 30 juin, dans les librairies participantes. jelisautochtone.ca

À donner

En association avec la Fondation pour l’alphabétisation, Je lis autochtone a mis sur pied le projet pilote de collecte de livres jeunesse dans les librairies indépendantes, La lecture autochtone en cadeau. Tous les livres amassés seront distribués dans des organismes et des familles autochtones par le Conseil en éducation des Premières Nations.

À lire

Afin d’en savoir davantage sur les littératures autochtones, téléchargez les carnets Je lis autochtone ! à l’adresse leslibraires.ca.

Le Trickster

Quiconque s’intéresse à la culture autochtone ou a lu le roman d’Eden Robinson Le fils du Trickster (VLB, 2023) a entendu parler de ce personnage apparu dans la nuit des temps. « C’est un être mythique qui est dans toutes les nations, explique Daniel Sioui. C’est un joueur de tours, mais on ne sait pas s’il est du côté du Bien ou du Mal. Si l’humour et la figure du Trickster sont encore bien présents dans nos littératures, c’est la preuve que, malgré les pensionnats, notre culture est encore bien vivante », explique Daniel Sioui, qui suggère de lire Le baiser de Nanabush (Prise de parole, 2019), de Drew Hayden Taylor, qui s’inspire de la légende du Trickster.

À voir

Conte Frétillant et agile, avec Jocelyn Sioui

Après avoir adapté au théâtre Mononk Jules (Hannenorak, 2020), le dramaturge et marionnettiste wendat transpose pour la scène les haletantes aventures du héros wendat méconnu Auhaïtsic qu’il décrivait avec humour dans Frétillant et agile (Hannenorak, 2022).

Théâtre Aux Écuries, Montréal, 8 juin, 20 h ; théâtre Alphonse-Desjardins, Repentigny, 14 juin, 13 h ; Grande Bibliothèque de BAnQ, Montréal, 20 juin, 19 h ; librairie L’Alphabet, Rimouski, 22 juin, 17 h

Discussion poétique entre Natasha Kanapé-Fontaine et Alexis Vollant

Quelques jours après le lancement de son premier recueil, Nipinapunan (Hannenorak, 2023), le nouveau venu innu discute de poésie avec l’artiste multidisciplinaire innue.

Librairie Appalaches, Sherbrooke, 14 juin, 17 h ;
librairie Laliberté, Québec, 15 juin, 17 h

Activité littéraire avec Michel Jean et Shayne Michael

Le romancier innu, à qui l’on doit Kukum et Tiohtiáke (Libre expression, 2019 et 2021), rencontre le poète wolastoqiyik, auteur de Fif et sauvage (Perce-neige, 2020) et de Nos racines/Our Roots (Hannenorak, 2023).

Musée McCord, Montréal, 14 juin, 18 h

Lecture-spectacle avec Natasha Kanapé-Fontaine

La poète, slameuse et romancière innue lit des extraits de son roman Nauetakuan. Un silence pour un bruit (XYZ, 2021).

Salle Ursa, Montréal, 21 juin, 20 h



À voir en vidéo