Notre sélection jeunesse du mois de juin

Nécessaire besoin de solitude
Dans une forêt comme il y en a tant, trois amis partagent leur quotidien et font tout ensemble. C’est, du moins, ce qu’ils affirment. Jusqu’au jour où Lapin emprunte le fameux petit chemin « trop noir et trop loin » qu’aucun des trois n’a encore supposément osé explorer. Il découvre alors que ses amis ne lui ont pas tout dit. Dans Trois grands copains, Nadine Brun-Cosme évoque avec tendresse l’essentiel besoin de solitude ressenti dans toute relation, même la plus sincère. Le texte, alternant entre dialogues et narration courte, est ponctué de répétitions qui, en plus d’insister sur l’union indéfectible du trio, mènent vers une finale signifiante. Olivier Tallec, en habile conteur, créateur d’univers aussi sensibles que désopilants, campe ses attachants et singuliers personnages dans un décor flamboyant qui change au gré des saisons rencontrées. L’alternance entre les doubles pages et les images séquentielles, qui isolent des moments charnières, rythme par ailleurs ce récit aussi intemporel qu’universel.
Marie Fradette
Trois grands copains (sur le tout petit chemin)
★★★★
Nadine Brun-Cosme et Olivier Tallec, Père Castor, Paris, 2023, 40 pages. À partir de 4 ans.
Un mouton parmi les loups
Boulibel Petitelaine, mouton solitaire,coule des jours heureux jusqu’au matin où des ululements freinent son envie d’aller cueillir des mûres. Volets clos, il se confectionne alors un « redoutable habit de loup » qui lui permettra de sortir sans craindre le danger. Redoutable jusqu’à ce qu’une couture se fissure et dévoile sa vraie nature. Avec Dans l’habit du loup, le Torontois Sid Sharp signe une première bande dessinée jeunesse dans laquelle il flirte avec les codes du conte merveilleux et dévoile un univers à la fois humoristique et inquiétant. Cette atmosphère est rendue possible grâce à son style particulier, un mélange du trait naïf et inquiétant de la Belge Kitty Crowther et des couleurs vives et contrastées de la Québécoise Mireille Levert — en tête, Les nuits de Rose. Si la chute est désopilante, l’ajout de quelques pages en fin de récit vient malheureusement freiner abruptement l’effet saisissant ressenti quelques instants plus tôt. Un album qui vaut toutefois et assurément le détour.
Marie Fradette
Dans l’habit du loup
★★★1/2
Sid Sharp, traduit de l’anglais (Canada) par Fanny Soubiran, Gallimard, Paris, 2023, 128 pages. À partir de 4 ans.
Jeux d’enfants
Dans la foulée du Festival BD de Montréal paraît J’aime pas ta robe, une truculente joute verbale signée par Danielle Chaperon et illustrée par Samuel Cantin. Dans une cour d’école animée par des jeux d’enfants, un garçon traverse la cour pour aller à la rencontre d’une fillette et lui lancer : « J’aime pas ta robe. » Après avoir encaissé le coup, la fillette réplique, lançant des hostilités où une surenchère de reparties et de grimaces les mènera sur le chemin de la complicité. Au fond, ils ne voulaient que jouer ensemble. Jonglant habilement avec ces tendres sentiments qui prennent des détours pour se déclarer, Danielle Chaperon nous propose un univers déluré, où l’exagération est reine et le plaisir est roi. Aux illustrations, Samuel Cantin nous télescope dans des univers parallèles où les idées les plus improbables se concrétisent en royautés lunaires et en monstres d’enfants, une jouissive immersion colorée coiffant cette proposition résolument libre.
Yannick Marcoux
J’aime pas ta robe
★★★★
Texte de Danielle Chaperon et illustrations de Samuel Cantin, Monsieur Ed, Montréal, 2023, 44 pages. À partir de 5 ans.
Y a-t-il un coupable dans la classe ?
André Marois est un écrivain magicien qui, plus d’une fois, a orchestré des disparitions. Cette fois, c’est la soudaine absence d’un hamster dans la classe de Madame Tzatziki qui sert de prémisse du récit de Moka a disparu. Marie, la jeune élève narratrice de l’histoire, est particulièrement contrariée : c’était son tour de prendre soin de l’animal. Pourtant, dès le lendemain matin, un hamster est de retour dans la cage. « Moka est de retour », clame la professeure, mais Marie n’en est pas convaincue et décide de mener une enquête. Pleine de soupçons, l’investigation de Marie se révèle une façon ludique de réfléchir aux motifs qui guident les postures et les actions de ses camarades, de même que les préjugés qui nourrissent sa pensée. Introduction sommaire à la sociologie, cheminant sur le fil d’un habile suspense, Moka a disparu est soutenu par les illustrations d’Audrey Malo, au trait économe mais expressif, qui ne manque pas de clins d’oeil à l’état de délabrement de nos écoles.
Yannick Marcoux
Moka a disparu
★★★1/2
Texte d’André Marois et illustrations d’Audrey Malo, La pastèque, Montréal, 2023, 144 pages. À partir de 8 ans.