«Yogi Stripper»: danseuse nue, écrivaine et fière de l’être

Dans l’introduction de son premier roman, Yogi Stripper, Marie-Claude Renaud lance un avertissement à ses lecteurs. « Je pense que je mène une vie spéciale et ma journée d’hier en est un bon exemple. Mais avant d’aller plus loin, je veux vous assurer que ce que j’ai fait hier, je l’ai fait avec plaisir et intégrité. Parce que j’en avais envie. »
Dans les lignes suivantes, elle raconte qu’elle a entamé sa journée avec un café-prière avant de se rendre au centre bouddhiste pour y méditer, puis au Doric, le club de danseuses dans lequel elle travaille les mercredis et samedis, « sur les shifts à Andrew », un DJ qui « met de la bonne musique ». Après deux clients — l’un non verbal, l’autre très attachant —, l’écrivaine est rentrée chez elle où, après avoir rempli les besoins affectifs de son chat, elle s’est mise aux fourneaux et a entrepris le ménage de son appartement, avec « un demi-verre d’alcool et toute la mari dont elle avait envie », avant de clore sa journée par une séance de yoga yin.
En 43 ans d’existence, Marie-Claude Renaud semble avoir vécu au moins huit des neuf vies promises aux félins. Souvent laissée à elle-même enfant, à qui l’on répétait sans cesse qu’elle ne serait jamais assez belle ni assez mince, l’autrice a entrepris des études interrompues en arts plastiques, en sciences humaines, en soins infirmiers, en théâtre et en scénarisation, avant de se tourner vers une carrière de danseuse nue à laquelle elle combine l’enseignement du yoga.
Depuis peu, elle écrit aussi, un art apparu comme la danse dans sa vie, motivé par un désir d’être vue, reconnue, applaudie. « J’ai toujours eu un certain talent pour l’écriture, raconte l’écrivaine, jointe par Le Devoir à sa résidence de Lachute. Même si l’école était difficile pour moi, j’avais beaucoup de reconnaissance de mes professeurs quand je faisais des compositions écrites. Ado, je me suis mise à rédiger des poèmes que je partageais à ma famille. Comme la danse, ça me permettait d’exister dans le regard de l’autre d’une façon positive. »
Non à la victimisation
Il pourrait sembler naturel, en lisant le récit de vie de Marie-Claude Renaud, de la placer dans la catégorie des « victimes ». Son parcours singulier, teinté d’un rapport difficile aux drogues, à l’alimentation, à l’estime de soi et à l’image corporelle, renvoie à une existence pétrie de difficultés, mais témoigne aussi d’un irrésistible besoin de liberté.
« Je refuse de me positionner comme une victime. C’est une posture très à la mode de nos jours, mais qui ne nous rend pas service. On oublie souvent de regarder de notre côté de la rue, de voir nos propres torts. Si je pointe du doigt ceux qui m’ont fait du mal, je ne travaille pas sur ce que moi j’ai à améliorer. »
Marie-Claude Renaud n’épargne toutefois pas ses parents et les adultes de son entourage dans Yogi Stripper. « L’enfance est probablement le seul moment de notre vie où l’on peut se définir comme une victime, puisqu’on n’a aucun contrôle sur rien. Mais je me fais un devoir de prendre ma part de responsabilité dans ce que j’ai vécu à l’âge adulte — abus et autres. Je suis aussi déterminée à ne pas laisser les mots faire de moi une victime, notamment dans le cadre de la parution de ce livre, qui pourrait amener certaines personnes à me traiter de salope ou de je ne sais quoi d’autre. »
Préjugés et hypocrisie
Les préjugés, les jugements, les idées reçues, l’autrice préfère les passer au tordeur, ce qu’elle s’applique consciencieusement à faire dans les 256 pages de son premier roman. Elle offre, par exemple, un contraste intéressant entre les clubs de danseuses — où les femmes qu’elle a côtoyées étaient libres, autonomes, audacieuses et maîtresses de leur destin — et les clubs de yoga, qui, bien que souvent valorisés dans l’imaginaire collectif, ne sont pas exempts de comportements douteux qui favorisent l’exploitation de personnes vulnérables.
L’autrice, en racontant son histoire avec les stupéfiants et la spirale d’abord destructrice qui l’a menée à reprendre le contrôle de sa vie et à consommer de manière responsable, expose l’hypocrisie qui entoure cette forme particulière de dépendance.
« C’est beaucoup plus facile de juger les autres que de se regarder et d’admettre qu’on a un problème. La dépendance peut prendre différentes formes. Plusieurs personnes ne lâchent jamais leur téléphone des yeux, d’autres mangent trop de sucre, d’autres font du crack. Ce sont toutes des pertes de contrôle. On connaît les ravages causés par le sucre. Pourtant, les céréales qu’on donne aux enfants le matin en sont remplies, et personnene se fait faire de reproches. Les médicaments pour le TDAH sont des amphétamines, une drogue stimulante que les chauffeurs de camion se procurent souvent sur le marché noir. On condamne ces travailleurs, mais on n’hésite pas à en donner à un ti-cul de 12 ans parce qu’il n’arrive pas à rester assis sur sa chaise en classe. Je pense qu’on devrait réfléchir à ça. »
Bien que plusieurs remises en question, tant individuelles que collectives, émergent naturellement de son récit de vie, Marie-Claude Renaud se garde bien de faire la leçon aux lecteurs. De son parcours, elle ne retient qu’une chose qui puisse inspirer d’autres gens : refuser les étiquettes et suivre son coeur.
« La conformité est très ancrée dans la nature humaine. Ça fait partie de l’instinct de survie. Tu ne peux pas appartenir à un groupe si tu es marginal. On a besoin les uns des autres. C’est normal, mais dommage, de suivre les tendances et les virages qu’emprunte le monde sans prendre le temps de s’asseoir et de se poser des questions. Moi, je tiens mon bout, même si c’est difficile. Je perds parfois des amis, des privilèges… Mais quand je regarde le chemin parcouru, je ferais les mêmes choix. Je pense que c’est ça, le vrai courage. »