«Nuit de combat»: hommage à celles qui choisissent la lumière

Fuir, se battre ou ne rien faire. Ces trois questions sont au coeur de l’oeuvre de Miriam Toews, neuf romans centrés sur l’amour et le courage de femmes qui subissent la violence d’un monde qui s’acharne, en vain, à les réduire au silence, neuf histoires de deuil, de résilience, de survie et d’espoir.
Photo: iStock Fuir, se battre ou ne rien faire. Ces trois questions sont au coeur de l’oeuvre de Miriam Toews, neuf romans centrés sur l’amour et le courage de femmes qui subissent la violence d’un monde qui s’acharne, en vain, à les réduire au silence, neuf histoires de deuil, de résilience, de survie et d’espoir.

Dans Ce qu’elles disent (Boréal, 2019) — dont l’adaptation cinématographique, Women Talking (2022), a été récompensée de l’Oscar du meilleur scénario adapté —, Miriam Toews s’inspirait d’un drame réel pour raconter l’histoire de femmes d’une communauté mennonite qui, après des jours à se réveiller meurtries et ensanglantées, comprennent qu’elles sont, nuit après nuit, endormies au moyen d’un anesthésiant utilisé pour le bétail, puis violées par leurs oncles, leurs cousins, leurs frères.

Réunies en secret, les victimes doivent faire un choix : fuir, se battre ou ne rien faire. Ces trois questions sont au coeur de l’oeuvre de Miriam Toews, neuf romans centrés sur l’amour et le courage de femmes qui subissent la violence d’un monde qui s’acharne, en vain, à les réduire au silence, neuf histoires de deuil, de résilience, de survie et d’espoir.

« Plus je vieillis et plus je réalise à quel point c’est facile et naturel de ressentir du désespoir, de l’amertume et de la désillusion, souligne l’écrivaine, jointe par Le Devoir dans sa résidence de Toronto, qu’elle partage avec sa mère, sa fille et la famille de cette dernière. Le monde est un endroit fragile et vulnérable. Par l’écriture, j’espère léguer une toute petite parcelle d’espoir, ou quelque chose qui y ressemble. L’espoir est essentiel pour se poser les difficiles questions qui nous permettent d’avancer, pour les mettre en lumière et apprendre à composer et à vivre avec elles. »

Choisir la lumière

Ce changement de perspective est perceptible dans Nuit de combat, letout nouveau roman de l’écrivaine originaire du Manitoba. Elle y raconte, à travers les yeux d’une fillette de neuf ans, l’histoire d’une famille pas tout à fait comme les autres, définie par des fous rires, des aventures spectaculaires, des crises de nerfs, des sensibilités exacerbées, de l’amour et une grande soif de liberté.

Plus que jamais, Miriam Toews aborde les questions qui l’obsèdent — la maladie mentale, le suicide, le deuil, la foi — du côté du rire et de la lumière ; une lumière qui émane tant de la candeur de l’enfance que de la personnalité flamboyante d’Elvira, un personnage de grand-mère amoureuse de la vie et avide d’amour et de liens inspiré de la propre mère de l’autrice.

« Après l’écriture de Women Talking,une expérience intense et douloureuse, j’avais envie de me lancer dans quelque chose de différent. Entre-temps, je suis aussi devenue grand-mère. J’ai maintenant quatre petits-enfants de moins de cinq ans. Comme ma mère ne sera plus avec nous pour très longtemps, j’ai voulu la raconter, afin qu’ils puissent connaître cette femme remarquable, qui est un véritable roc pour notre famille. »

Les battantes

Swiv, neuf ans, est renvoyée de l’école après s’être battue une fois de trop, selon la directrice de l’établissement. « … j’ai répondu qu’on ne serait pas dans ce merdier si j’avais une idée du nombre exact de batailles que je suis censée avoir. » Maniant le sarcasme avec culot et adresse — impossible de passer sous silence le travail de traduction délectable de Paul Gagné et de la regrettée Lori Saint-Martin —, la fillette raconte son quotidien dans une longue lettre adressée à son père disparu.

Puisque sa mère, épuisée par sa grossesse et par les répétitions abrutissantes qu’elle enchaîne au théâtre, ne peut se charger de son éducation, Swiv est confiée toute la journée aux bons soins de son exubérante et attachante grand-mère, une vieille femme à l’orée de la mort, fan des Raptors de Toronto, avide d’aventures, dont la longue vie est peuplée de pertes et de tragédies. Entre les leçons d’histoire et un grand voyage en décapotable dans les vallées de Fresno, en Californie, la gamine apprend à composer avec l’ampleur dramatique de son héritage familial.

Parmi les destinées qui s’offrent aux personnages de Miriam Toews, Elvira est sans contredit une battante, une femme qui choisit de célébrer la vie et ses promesses en dépit des deuils qui traversent son existence — la mère de la romancière a notamment perdu son mari et une fille, qui se sont tous les deux enlevé la vie.

« C’est une des raisons pour lesquelles j’écris sur elle. Ma mère est une inspiration pour moi, tant par sa résilience que par sa curiosité, son amour, sa façon de vivre sa vie et ses deuils, de continuer à trouver en elle la joie et la force de se connecter aux autres. C’est tellement difficile de cultiver la beauté à travers la souffrance et le chaos de la vie. Ma mère y arrive, et c’est pourquoi elle est exceptionnelle. »

Léguer la perspective d’Elvira sur la vie, c’est aussi pour Miriam Toews une façon d’aborder les peurs, les traumas et les blessures qui se transmettent de génération en génération dans sa famille. « L’écriture est pour moi une forme de communion. Tôt ou tard, mes petits-enfants se questionneront sur cet arrière-grand-père et cette tante qu’ils n’ont jamais connus. Avec ce livre, j’essaie d’ouvrir un espace de dialogue, de leur donner une forme de pouvoir, de leur montrer, à travers l’anxiété du personnage de Swiv, qu’il est possible de survivre en dépit de la magnitude de nos peurs. »

Nuit de combat

Miriam Toews, traduit de l’anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, Boréal, Montréal, 2023, 288 pages

À voir en vidéo