«Sur la dalle»: le commissaire Adamsberg chez les Bretons

« C’est tout de même quelque chose, un dolmen. » C’est avec cette remarque banale que se termine Sur la dalle,1douzième roman de Fred Vargas, qui envoie le commissaire Adamsberg dans une petite bourgade bretonne sur la piste d’un tueur en série. Et accessoirement sur celle d’un fantôme boiteux, affaire élucidée très tôt par le « pelleteux de nuages », surnom donné au commissaire par un collègue québécois dans Sous le vent de Neptune (Viviane Hamy, 2004) — roman ponctué de désastreux dialogues dans la langue de chez nous.
Puisant dans les charmes médiévaux de la Bretagne des atmosphères tour à tour feutrées et glaciales, l’ex-archéologue devenue autrice de « rompols », selon son expression, s’inspire aussi des vestiges de l’époque néolithique pour accentuer le mystère. Adamsberg va ainsi s’étendre sur la dalle d’un dolmen dans l’espoir que la mémoire de ce monument funéraire de quatre millénaires fera remonter ses idées floues à la surface. Après tout, l’action se déroule au pays de l’auteur des Mémoires d’outre-tombe.
À Louviec, loin de l’érudit commandant Danglard, Adamsberg fait équipe avec le commissaire Matthieu, homme d’action pragmatique et rationnel, qu’il déconcertera plus d’une fois : « Encore ce “Je ne sais pas”, formule récurrente d’Adamsberg qui, aux yeux de Matthieu, recouvrait bien des pensées. » Afin d’assurer le volet humour, Fred Vargas fait entrer en scène d’attachants et colorés personnages, dont le suave Josselin de Chateaubriand, qui cultive sa ressemblance avec son illustre ancêtre à la demande du maire afin d’appâter les touristes, et le débonnaire propriétaire de L’Auberge des Deux Écus.
« Johan apportait les assiettes et les plats, il lui restait de quoi nourrir vingt personnes. Le buffet qu’il avait préparé était royal et les agents se jetèrent dessus. Mercadet demanda un double café. » On mange tant et si bien dans Sur la dalle, où le cidre et le chouchen coulent à flots, que force est de se demander si Fred Vargas est une avide lectrice de nos dames du crime Chrystine Brouillet et Louise Penny, qui ont le don de nous mettre l’eau à la bouche entre deux filatures, ou des aventures d’Astérix, où l’on aime faire ripaille.
Et les femmes ? Comme souvent chez Vargas, elles sont peu nombreuses, mais remarquables. Bien entendu, Retancourt, déesse de la Brigade, sera de la partie. Notons aussi la Serpentin, commère luttant contre les « piétineurs » d’ombre afin de protéger l’âme des villageois. Eh oui, il fallait bien que la romancière saupoudre d’éléments folkloriques et de vieilles croyances cette sombre histoire de vengeance où l’on sème des cadavres couverts de puces. « Noël, vous n’avez sûrement pas oublié le temps où l’on bossait sur la peste ? » — clin d’oeil à Pars vite et reviens tard (Viviane Hamy, 2001).
Riche en fausses pistes et en digressions fascinantes, le récit s’essouffle au dernier tiers alors que s’enchaînent perquisitions, arrestations et interrogatoires au rythme d’une mécanique bien huilée bientôt lassante. Quant au dénouement, patiemment expliqué par Adamsberg, il se révèle fade et prévisible. Malgré tout, comme dirait l’autre, c’est tout de même quelque chose, un Vargas.