Notre sélection poésie du mois de mai

Chant du coeur
Malgré des redites qui tranquillement s’imposent dans l’écriture innue, Alexis Vollant, pianiste classique, sait rythmer le vers, tendre ses phrases dans le souffle du pays à traduire, chaque partie étant identifiée par un mouvement musical. On le suit vers son Nipinapunan, cet endroit où les gens passent l’été, pour accéder au désir de l’amoureuse du poète à qui il a demandé de faire ce voyage originel, pour retrouver « la Terre [qui] est aux coeurs et aux âmes / [qui] est au Cosmos qui chérit le temps / et qui catalyse le son / misha-tshshipanu e tshinikuanipan / la vitesse d’une voix perdue il y a longtemps ». Quête incessante de ce qui survit, de ce qui apparaît et tourne autour de soi. Immémoriale complainte, le chant de la gorge s’éploie au lieu précis de la naissance. Le texte exprime ce désir : « eukuan ne, c’est ça que j’essaie de te raconter / un peuple souriant au sourire blessé / un peuple de tous les malheurs / porté par la beauté du monde ». À nous d’en écouter les soubresauts et les complaintes, les désirs de vivre dans le vif du présent. Beau recueil que l’amour du pays porte.
Hugues Corriveau
Nipinapunan
★★★
Alexis Vollant, Hannenorak, Wendake, 2023, 104 pages. En librairie le 30 mai.
Calme insaisissable
Un besoin de chaleur, de protection, d’heureux moments de tranquillité soulève l’écriture de Simoneau dans sa quête d’un bonheur précaire. Recherche du soleil, de la lumière, à la fois intérieure et fluctuante, ce recueil met en place des lieux éphémères, des passages d’oiseaux et d’ombres, des lacs et des frôlements : « J’espère un épuisement du noir », dit-il très justement. Si « nous vivons comme des proies / avec des îles / de honte crue », encore faut-il savoir trouver refuge, trouver à transgresser l’anxiété. Or, lié aux saisons, aux fluctuations de la lumière solaire, le bien-être du poète se dit fugace, lié aux fruits tombants, aux feuilles s’en allant. Bref, il y a un fond de naïveté surprenant dans la manière de dire l’angoisse, un lien souvent lourdement appuyé autour des métaphores animalières ou végétales : « octobre / jette ses pelures / dans la rosée // c’est beau / mais c’est peut-être un pressentiment / de la mort / qui viendra décrocher ses prunes / en les twistant une à une / par le coeur ».
Hugues Corriveau
Des longueurs dans le crépuscule
★★★
Mathieu Simoneau, Le Noroît, Montréal, 2023, 104 pages
Le pont de la déconfiture
Il est impossible de prévoir le prochain vers de Daniel Leblanc-Poirier. Soudeur de mots lunaires, le poète s’est amusé, au gré de son oeuvre, à nous télescoper dans des univers parallèles, créant des images inattendues et saugrenues. Son dernier recueil, Laval, n’y fait pas exception : « le fond de la tasse ressemble à une orgie froide / et je la transporte / en traînant mes pieds / dans le gruau de la lune ». Pour le coup, l’écrivain nous offre le récit mosaïque d’un amour insaisissable, où la poursuite de la figure aimée est aussi prétexte à une quête existentielle : « je ne sais pas devenir moi-même / qui suis-je au verso de ma trentaine / les noeuds de sentiments sont coulants / comme des oeufs ». Daniel Leblanc-Poirier ouvre les vannes métaphoriques, proposant des ambiances denses et immersives, mais il arrive aussi que les images, trop nombreuses, se noient dans l’abondance. Une poésie parfois aveuglante, mais qui ne manque pas de briller de tous ses feux.
Yannick Marcoux
Laval
★★★
Daniel Leblanc-Poirier, Del Busso, Montréal, 2023, 72 pages
Malgré la faute
Où Nathanaël nous invite-t-elle avec son dernier recueil, Comme de tout temps ? Dans des univers où le temps est démultiplié, façonné par des ambiances complexes, où l’on chemine, faux à la main, l’attention plissée, fouillant une nuit opaque où « la lune aussi déplace son ciel ». Elle nous invite au récit de l’enfant ancestral, issu d’une « silencieuse coïncidence », « orpheline ou bâtarde », qui se met au monde en marchant « dans l’effritement des bords qu’elle porte en elle comme un secret trop aigu ». La prose de Nathanaël est touffue, faite de petits pas, de reculs et d’itérations qui rappellent l’avancée incoercible et minutieuse des récits de Marguerite Duras : « Et nous, immobiles comme l’arbre renversé, sommons les défaites des créatures, fondus aux mousses et aux saillies et aux éclats d’aube qui nous inondent. » Pétri de douleur, mais versé de beautés, Comme de tout temps est un souffle acharné et hypnotisant duquel sourd un chant rauque et abasourdi.
Yannick Marcoux
Comme de tout temps
★★★1/2
Nathanaël, L’Hexagone, Montréal, 2023, 60 pages