«Conte de fées»: Stephen King au pays d’Il était une fois

Il était une fois un écrivain prolifique capable de vous créer un personnage en quelques lignes, de vous le faire aimer en quelques paragraphes au point de vous faire monter les larmes aux yeux quand, au bout de quelques pages, il en fait un orphelin.
Il était une fois, donc, Stephen King, ce « maître de l’horreur » qu’il est désormais réducteur d’étiqueter ainsi. Son nouveau et volumineux roman, Conte de fées, en fait la preuve… comme si une preuve était nécessaire : même un King « moins fort » n’est pas dépourvu de qualités.
Or Conte de fées se situe dans la frange supérieure de sa production. Bien que, paradoxalement, il risque de ne pas plaire à une partie de ses lecteurs.
Le rythme est lent (surtout dans les 200 premières pages, au demeurant fortes de fragilité humaine et d’humanité), l’intrigue est linéaire. Et c’est un conte. Un conte avec une princesse, un « prince », un monstre, une malédiction qui déferle sur le royaume. Un conte qui joue avec les contes. L’amateur du genre s’amusera de ces références au moins autant que King a eu de plaisir à les planter comme un certain Jack son haricot magique. Mais le néophyte n’errera pas pour autant dans ces pages tel un Petit Poucet dans la forêt, après qu’il eut troqué les cailloux blancs pour des miettes de pain. Comparaisons choisies.
Portant tout cela, le vieil homme et l’enfant — un tandem plusieurs fois exploité par l’écrivain qui le maîtrise comme pas un. À ce duo dépareillé se joint une chienne. Radar. Si âgée qu’elle marche, lentement et en boitant, vers une mort prochaine. À moins que…
C’est ce « à moins que… » que suit l’enfant. Un adolescent, en fait. Charlie. Ami improbable d’Howard Bowditch, le voisin aussi vieux qu’inquiétant qui a découvert un accès à un autre monde, ici appelé… l’Autre Monde. Là se trouve le moyen de rajeunir Radar. Conte de fées, c’est donc l’histoire d’un gamin prêt à tout pour sauver sa chienne. Simplement. Tout simplement. Le désir de Charlie n’est pas un désir de richesse ou de pouvoir. C’est par amour qu’il pénètre dans un univers parallèle peuplé de créatures magnifiquement différentes, meurtries, effervescentes ou flétries, où le Bien affronte le Mal si férocement que les conséquences du conflit pourraient se déverser dans le nôtre. D’autant que le Bien des uns ne peut-il être le Mal des autres ? Charlie aura des choix à faire. Et Stephen King lance, comme il sait le faire si intelligemment, des flèches à ce pays (qui fut) si grand, le sien.
Ponctué de scènes horrifiques typiquement « kingsiennes », de personnages puissamment étranges, de cruauté, de références littéraires (des frères Grimm à Lovecraft en passant par King lui-même) et à la culture pop (Psycho, The Exorcist, The Thing, etc.), Conte de fées tranche avec les productions plus récentes (et réalistes) de l’écrivain (L’institut, Billy Summers). Et même si tous n’adhéreront pas à sa proposition, ce roman-fleuve possède l’essence intemporelle qui fait les meilleurs contes (avec ou sans fées).