Ces gens nés de la haine

Gabrielle Boulianne-Tremblay
Photo: Marin Blanc Gabrielle Boulianne-Tremblay

L’aiguille termine son jet d’encre : « queer joy » est gravé derrière ma cuisse afin de continuer la lutte contre la transphobie, d’élever la voix — et ce, même sans la parole. L’on n’est pas habitué à voir cette joie, surtout pas en cette saison des projets de loi transphobes. La joie queer pour moi a une essence punk, puisqu’on est dans le domaine de la rareté, du contre-courant. L’on me demande si ça fait mal de se faire tatouer. Oui, un peu, une petite douleur, mais jamais une douleur aussi intense que celle de devoir dénombrer nos mortes régulièrement ou de redouter un projet de loi transphobe.

Je dis « saison » parce que subsiste en moi le souhait que ce ne soit que passager. Il n’en coûterait rien si on changeait d’idée sur ces projets de loi. Plutôt, des dizaines de milliers de vies seraient épargnées. Jusqu’à présent, plus de 400 projets de loi anti-2SLGBTQIA+ ont vu le jour depuis janvier dernier aux États-Unis, et ça continue.

Voilà dix minutes que je pleure sans arrêt. J’ai mal à nos enfants trans qui vivent dans ce climat de terreur. En Floride, le projet de loi SB 254 autorisera l’État « to take temporary custody of children who may be receiving gender-affirming care now or in the future ». En gros, il sera possible de dérober un enfant trans à ses parents. Nous sommes en train de rendre légal le kidnapping, nous sommes en train de légaliser la transphobie. Non, ce n’est pas ici, j’en conviens. Vous ne rêvez pas. J’ai dû moi aussi relire plusieurs fois cette atroce décision basée sur la peur de l’autre. L’on nous veut soit dans l’ombre, soit mortes. L’on nous déclare une guerre, littéralement.

Ce climat aux États-Unis contamine le monde. Je m’explique très mal cette campagne de déshumanisation et j’aimerais ne pas avoir à faire ce sordide parallèle avec les nazis et leur propagande haineuse envers les juifs, parce que l’on sait la triste suite…

Difficile aussi de comprendre pourquoi on demande d’arrêter « d’exposer les enfants aux personnes trans » sous prétexte que l’on pourrait les inciter à devenir trans. Il se trouve que, toute ma vie, j’ai grandi entourée de personnes cisgenres, professeurs, camarades et même parents, et vous savez, je ne suis pas devenue cisgenre pour autant.

Webster Barnaby, un républicain, nous a comparées à des mutants (X-Men), et je ne sais pas si vous savez, mais dans la série animée des années 1990, ces mutants sont traqués et emprisonnés au motif qu’ils sont qui ils sont. Il s’est excusé par la suite, mais quand même.

J’aimerais que vos voix s’élèvent en une chorale qui apaise enfin nos pleurs, j’aimerais voir et entendre plus d’alliés dénoncer ces injustices dans les médias. Seules, nous n’y arriverons pas. Il est question d’êtres humains et du futur de la société. J’aimerais pouvoir parler d’autre chose, mais quand on est dans une campagne de déshumanisation contre nous, je ne peux qu’exprimer maintenant une colère sans nom. Un hurlement me parcourt l’échine quand je tombe sur des nouvelles de ce genre ou quand j’entends des gens de la droite d’ici incorporer des idéologies de nos tristes voisins.

J’en appelle à ceux qui nous aiment, dites-le haut et fort, diffusez des informations sur ces lois injustes et violentes. Dénoncez la transphobie. Soyez fiers de connaître des personnes trans. Dites-le-leur, écoutez-les. Soutenez des artistes trans. Ne minimisez pas notre crainte, elle est légitime. Si vous saviez à quel point une nouvelle comme celle provenant de Floride cause un hématome dans nos coeurs déjà meurtris d’injustice.

En entrevue dans le magazine Advocate, Pedro Pascal (The Last of Us, The Mandalorian) parle bien de sa soeur trans comme de « l’une des personnes les plus puissantes qu’il connaisse », et je trouve que c’est un bel exemple d’allié.

Ce n’est plus un secret, la transphobie peut aller jusqu’à tuer. Mais on aura beau nous tuer tant qu’on le voudra, nos morts survivent dans la rage de ceux encore vivants.

Nous sommes des personnes pleines d’amour et nous ne demandons rien de plus que de pouvoir exister en toute sérénité. Il est temps qu’on arrête de survivre. Nous existons depuis la nuit des temps, nous méritons de continuer de vivre en plein jour.

 

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