Notre sélection de polars du mois d’avril

Les jeunes filles et la mort
On entend le souffle du polar nordique dans le nom de Johana Gustawsson, autrice française de naissance mais suédoise par alliance. Maniant avec aisance les codes du genre, elle plante son quatrième roman, L’île de Yule, sur un îlot ressemblant à celui de Storholmen, près duquel elle réside désormais. Un îlot qui ne compte qu’une habitation : un château. Hanté. Comment ne pas être inspiré ? Ainsi est née Emma, experte en art engagée pour faire l’inventaire des biens des richissimes propriétaires du manoir où le corps d’une jeune femme, horriblement mutilé, a été retrouvé neuf ans plus tôt. Le tueur court toujours. L’inspecteur Rosén le cherche. Plus encore aujourd’hui, alors qu’une autre adolescente est assassinée suivant le même rituel. Un thriller conçu à la façon des poupées russes (ou suédoises), où les surprenants secrets des personnages sont révélés au moment (très) opportun, prenant le lecteur de court et le ferrant solidement jusqu’à la toute fin.
Sonia Sarfati
L’île de Yule
★★★
Johana Gustawsson, Calmann-Lévy « Noir », Paris, 2023, 332 pages
Carrés rouge sang
Après cette parenthèse enchantée qu’est La dame de la rue des Messieurs, Jean Lemieux retourne au sergent détective André Surprenant. Une septième enquête, intitulée Nos meilleurs amis sont les morts. Nous sommes à Montréal, le 1er mai 2012. La métropole est secouée par les manifestations étudiantes. Le carré rouge devient signe de rébellion… et de beaucoup plus. Or, l’un de ces morceaux de tissu est retrouvé à côté du cadavre du notaire Jean-Claude Ladouceur. L’homme, aux relations douteuses, a été égorgé. L’enquête démarre par cette première pièce d’un puzzle fascinant et complexe dont les ramifications remontent loin dans le temps. Comme toujours, le romancier ne facilite pas le travail à ses personnages et, ô joie, ne sous-estime pas ses lecteurs — qui, cette fois-ci, devraient en plus tomber sous l’emprise de la nouvelle partenaire du policier : Alice Verreau. On espère la revoir (vite) aux côtés de Surprenant, lequel apparaîtra bientôt au petit écran sous les traits de Patrick Hivon. Yé !
Sonia Sarfati
Nos meilleurs amis sont les morts
★★★1/2
Jean Lemieux, Québec Amérique, Montréal, 2023, 334 pages
Pièges en série
Quatre amis réunis pour une expédition en montagne se trouvent piégésdans une tempête de neige ; la choseest fréquente en Islande, on le sait depuis les premiers livres d’Arnaldur Indriðason. Heureusement, ils parviennent à trouver un refuge rudimentaire… mais il est déjà occupé par un homme armé silencieux et presque catatonique. La nature déchaînée ne leur laisse pas vraiment le choix et ils s’enferment dans un huis clos qui débouche rapidement sur un affrontement. Le ton monte même si l’inconnu menaçant garde obstinément le silence. Que faire ? Tenter une sortie ? Trouver du secours ? La tension devient insupportable… et bientôt la mort fait partie de l’équation. Sous le récit déjà troublant d’À qui la faute ? se cache une intrigue sous-jacente qui prend racine dans le passé récent des quatre principaux personnages, et qu’on ne découvrira dans toute son horreur qu’une bribe à la fois. Des personnages solides, une écriture nerveuse, découpée au couteau, bien rendue par la traduction, donnent au drame toute sa dimension.
Michel Bélair
À qui la faute
★★★
Ragnar Jónasson, traduit de l’islandais par Jean-Christophe Salaün, La Martinière, Paris, 2023, 332 pages
Saga boréale
Quelle surprise ! Il y a des livres comme ça qu’on ouvre sans savoir sur quoi on va tomber et, bang !, c’est la découverte d’un univers entier qui s’étale avec force sur plus de 300 pages d’une écriture remarquable et puissamment évocatrice. Un choc. Une révélation. Pourtant, le sujet n’est pas facile. Nous sommes en 1914, la guerre vient d’éclater en Europe, et l’histoire met en scène des personnages arides : quelques policiers installés dans une mission du Nord-Ouest canadien, sur le bord d’un lac, au milieu de nulle part. Autour, des habitations abritant des chasseurs-cueilleurs, cris pour la plupart. Et surtout, la forêt boréale avec ses marais, ses rivières indomptées, ses chapelets de lacs, sa faune sauvage et ses moustiques. Avec l’hiver, aussi, qui n’en finit plus, et un « criminel » à traquer, sorte de mélange entre l’homme des bois et le fantôme insaisissable. Tous des loups propose une quête fabuleuse dont vous sortirez l’âme écorchée, avec une odeur de lichen dans les cheveux et de la gomme d’épinette au bout des doigts…
Michel Bélair
Tous des loups
★★★1/2
R. Lavallée, Fides, Montréal, 2023, 324 pages