Notre sélection poésie du mois d’avril

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La nature de soi

« Dans la dure beauté des choses » nous arrive un très beau recueil d’Hélène Harbec. « Comme si poitrine à découvert / on pouvait y entrer la main / sortir le cœur de sa cage » pour en écouter à la fois la douleur d’une séparation et le battement d’une soif d’existence jamais tarie. Comme les deux parties du recueil sont très dissemblables, on peut mieux saisir la portée de cette écriture intense qui nous confie sa « petite foi maigre ». Et c’est dans et par la nature que la vie va reprendre son cours, dans le droit fil d’une introspection habitée. De longs séjours en résidence d’écriture vont faire éclore Trente-sept acres de solitude dans des textes descriptifs, presque murmurés, suivant le pas dansé des heures : « Cinq heures du matin. Un merle chante / plus loin que le vent. / Le vent est plus près de moi / que l’oiseau », nous confie doucement l’autrice. C’est parfois d’une simplicité désarmante : « Dimanche. Cloches de Pré-d’en-Haut. // Panier de victuailles en main, une femme court sous la pluie […] // Je souris chaque fois en elle. » Nous aussi, au fil de la lecture.

Hugues Corriveau

Les retombées du désordre, suivi de Trente-sept acres de solitude
★★★1/2
Hélène Harbec, Le Noroît, Montréal, 2023, 184 pages

 

 

Intimité précaire

Sous l’égide de la grande poète luxembourgeoise Anise Koltz, dont il nous fait lire de superbes vers, ce recueil reste inféodé au « je » de la confidence, au détriment d’une écriture approfondie et originale. Que de maladresses la poète met-elle à décrire son émoi intérieur en voulant atteindre à la plus grande simplicité, à tel point que la recherche même encombre ! Est-ce la formulation qui coince ici : « Mes phrases / coincées / dans leurs parois // je me résumais / au sourire » ? Or, il lui faut libérer l’« enfant mutique / dans [s]a poitrine » ou parvenir à faire entendre « [s]es foudres en gestation ». On pourrait mieux dire, comme la poète réussit à le faire quand elle quitte ces tremblements inquiets. Ainsi, ce beau passage égaré dans un poème nous le confirme : « Je me penchais / pour cueillir les larmes / comme on ramasse des billes / sur le chemin // les conservais / pour plus tard ». Ou encore, quand elle précise : « cet intervalle muet / entre les choses / je le prends pour demeure ». Il faut dire que la tâche est grande pour qui « réapprend l’oxygène / des vivants ».

Hugues Corriveau

Crever les eaux
★★★
Joanne Morency, Hamac « Poésie », Montréal, 2023, 72 pages

 

 

Déminer les rues

Premier recueil de poésie de Lauriane Charbonneau, S’oublier au coin de la rue a été écrit pendant la vague de dénonciations de l’été 2020, et nombreux sont les vers qui font résonner son émancipatrice prise de parole. Lacé de huit parties, le recueil alterne entre charge virulente contre ces « messies autopardonnés / baptisés dans le deuil / de leur carrière » et une intimité qui cherche son air, meurtrie par les violences ordinaires ou les deuils inévitables : « j’ai construit des radeaux / pour ces humains qui me fuient ». La narration d’une relation amoureuse toxique semble plus convenue, mais cette intimité fait sourdre une puissante colère à la parole déliée. Embrassant ces « corps-scène-de-crime », Lauriane Charbonneau nourrit le mouvement et offre chair et verve à sa lutte : « leur vie de jambes larges / à s’exposer le paquet / j’oublie toujours / nous sommes né.es / de l’autre côté du banc / cuisses musclées à force / de grincer des genoux ».

Yannick Marcoux

S’oublier au coin de la rue
★★★
Lauriane Charbonneau, Hashtag, Montréal, 2023, 92 pages

 

 

Avant la route

Maxime Catellier revenait d’une maison construite sur la frontière canado-américaine, écoutant la voix de Jack Kerouac à la radio, lorsqu’est née la suite poétique Jean dit. 111 poèmes pour Ti Jean Kerouac. Renouant avec l’oralité de cette langue qui berçait les rêves de Kerouac, le poète prend la route de souvenirs qu’il a déjà racontés, « dans un livre / perdu dans la neige / qui est tombée / hier ». Il en résulte 111 poèmes, courts, dont certains flirtent avec l’aphorisme, libérant souvenirs encapsulés et pensées furtives, dont plusieurs concernent la langue. Ouvertement trivial — « La fois où / j’ai pissé dans mes culottes / au colisée »), le recueil donne l’impression que Maxime Catellier a tout mis d’un souffle qui, trop souvent, étouffe ses magnifiques envolées : « elle est là la langue / secrète de mémère / loin des vidanges / qu’on entasse / dans le tambour / à longueur d’hiver / j’ai déjà su / la parler / avant qu’on me dise / que c’était pas de même / qu’il fallait dire / les mots ».

Yannick Marcoux

Jean dit. 111 poèmes pour Ti Jean Kérouac
★★★
Maxime Catellier, L’Oie de Cravan, Montréal, 2023, 72 pages

 

 

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