«Une histoire d’amour-haine»: Anglais et Français mis dos à dos

L'auteur Gilles Bibeau
Photo: Gilles Bibeau L'auteur Gilles Bibeau

« Il m’apparaît essentiel de mettre au jour le versant de l’identité des nations anglaise et française qui se sont forgées, à travers ressemblances et différences, de part et d’autre de la Manche », clame l’anthropologue Gilles Bibeau dans son dernier ouvrage, Une histoire d’amour-haine. Cet essai, qui se lit comme un récit de voyage, offre une perspective originale à travers un retour aux sources, notamment dans les écrits des explorateurs, navigateurs ou missionnaires de l’époque.

La tentative ambitieuse de peindre une fresque historique de cette envergure est une réussite. Avant de relater le choc de la rencontre en terres nord-américaines entre les Anglais et les Français, Bibeau remonte très loin dans le temps, parfois jusqu’à l’Antiquité et au Moyen Âge, bien avant que l’Angleterre et la France ne fondent des colonies en Amérique.

L’auteur met l’accent sur l’importance de la géographie, qui a selon lui joué un rôle crucial dans la formation des identités et des cultures des descendants des Anglais et des Français

Car l’anthropologue veut avant tout raconter un monde construit, d’après lui, sur l’avidité de conquêtes permanentes. Les témoignages des moines irlandais, les épopées norroises, les sagas nordiques ou les journaux de bord de capitaines de navire exposent les jalons de dominations territoriales. L’essayiste de 83 ans rappelle d’ailleurs les nombreuses tentatives d’occupation des peuples scandinaves dans les régions de l’Atlantique Nord. On sait aujourd’hui que ce sont les Vikings islandais qui ont été les premiers Européens à explorer l’Amérique du Nord, en passant par Terre-Neuve-et-Labrador, qu’ils nommèrent alors Vinland.

L’auteur de l’essai Les Autochtones. La part effacée du Québec (Mémoire d’encrier, 2020) souligne également le caractère paradoxal des relations entre l’Angleterre et la France, les deux nations européennes historiquement rivales qui ont conquis dès le XVIe siècle, au nom de leur couronne respective, un même territoire, le Kanata, qui deviendra plus tard le Canada. Afin de parvenir à saisir l’esprit de l’époque de la Renaissance, période d’expansion territoriale vers les Amériques, l’essayiste québécois affirme avoir puisé dans les archives de cette époque, en particulier lorsqu’il évoque avec un plaisir narratif réjouissant les témoignages des navigateurs et des marchands.

Il met l’accent sur l’importance de la géographie, qui a selon lui joué un rôle crucial dans la formation des identités et des cultures des descendants des Anglais et des Français, les premiers par l’océan Arctique et les seconds par le fleuve Saint-Laurent, bien souvent au détriment des peuples autochtones. Alors que la flotte de Jacques Cartier décide en 1534 de contourner Terre-Neuve pour remonter le fleuve et pénétrer au coeur même de l’Amérique du Nord, les navigateurs anglais tentent de franchir l’extrême nord à travers le passage du Nord-Ouest. En invoquant John Davis, Martin Frobisher, Roberval, John Cabot ou John Rut, l’anthropologue met en évidence les parcours distincts, le Grand Nord pour les uns et le territoire des trappeurs pour les autres, qui ont fasciné l’imaginaire spécifique des deux peuples fondateurs.

Une histoire d’amour-haine. L’Empire britannique en Amérique du Nord

★★★

Gilles Bibeau, Mémoire d’encrier, Montréal, 2023, 409 pages

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