«Mon arbre à musique»: la vie entre les branches

L'autrice Catherine Voyer-Léger
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir L'autrice Catherine Voyer-Léger

«C’est quoi le “nous” de la famille ? Dans la parenté biologique, il y a toujours des mythes qui perdurent. C’est la reproduction de nous, la magie du biologique. Le fruit de notre amour. En adoption, t’as rien de tout ça », nous confie d’entrée de jeu Catherine Voyer-Léger. Aujourd’hui mère adoptive d’une fillette de six ans, elle publie un album lumineux, Mon arbre à musique, qui offre « un récit des origines aux enfants dont les filiations, bien qu’elles ne soient pas biologiques, sont magnifiques ».

Le Devoir l’a rencontrée dans un café de La Petite-Patrie, où le soleil entrait par grandes bouffées printanières, évoquant l’éblouissement des aquarelles de Catherine Petit, qui signe les illustrations de l’album. En se remémorant son processus créatif, l’autrice songe d’abord aux moments poignants qu’elle a vécus avec l’illustratrice : « Y’a eu plusieurs petits moments magiques, notamment la première fois qu’on s’est parlé sur Zoom. C’était pour lancer le travail, et elle m’a dit : “Je pense que j’ai trouvé la petite fille”. Elle m’a montré l’esquisse de ce qui est devenu la couverture, et c’était ma fille. Elle ne l’avait jamais vue. C’était troublant. »

De son point de vue, cette collaboration signe « une rencontre d’âmes », et elle espère revivre cette expérience privilégiée, « de voir quelqu’un d’aussi talentueux partir avec [s]a création pour en faire autre chose ».

Il faut dire que les illustrations, envoûtantes, texturées et touffues, loin d’être plaquées au texte, travaillent la métaphore filée des racines de l’attachement en créant un univers en soi. Ce que ne manque pas de souligner l’écrivaine : « C’est un livre qui aborde ça : qu’est-ce qui est le coeur d’une relation de filiation ? C’est l’amour, c’est le lien, c’est l’attachement. Et pour ça, les illustrations sont exceptionnelles, parce qu’à travers la filiation organique, cette idée-là des racines de l’attachement est explorée dans le dessin. »

Les boutures du courage

L’autrice est unie à sa fille depuis plus de cinq ans, mais le désir de cette rencontre est né beaucoup plus tôt et, avec lui, de nombreuses réflexions. On ne s’étonne donc pas que l’album ait germé peu de temps après leur rencontre : « La première étincelle, c’est que, très jeune, vers un an et demi, ma fille adorait les livres qui portaient sur la relation parent-enfant. Y’en a plusieurs, ils sont tous sur la même formule : la première image, c’est des parents avec leur nourrisson, l’enfant grandit et le principe, c’est : je vais t’aimer toujours. Et parce qu’elle avait cette fascination, j’ai très tôt eu cette préoccupation : comment je vais lui dire que nous, on n’a pas ça ? »

Le second déclencheur du livre est ce moment, à la maternelle, où l’enfant est tenu de créer son arbre généalogique. Sans résignation, au contraire portée par la volonté de changer l’ordre désuet du monde en y proposant son regard neuf et réfléchi, elle se permet une envolée éditoriale contre cette pratique : « On nous envoie à la maison un arbre généalogique qui, d’abord, est hétérocentré, qui ne tient pas compte des familles reconstituées, soloparentales et autres. Bon, c’est sûr que nous, on a plusieurs niveaux de complexité. Mais moi je me suis virée de bord et j’ai demandé à une amie illustratrice de nous faire un arbre sur mesure. En fait, quatre arbres, qui permettent d’illustrer la famille biologique et la famille adoptive de ma fille. Des fois, je trouve que les institutions avancent pas vite. »

Au final, l’album propose une lumineuse incursion dans une aventure complexe et noueuse, qui comporte son lot d’écueils, mais aussi ses félicités, et qui s’incarne trop rarement dans la littérature : « C’est ça qui m’a motivée à écrire ce livre. Ce besoin, pour les familles différentes, d’avoir des récits de filiation qui ne sont pas traditionnels. »

Exister autrement

Même si elle admet que sa fille n’est pas capable de lire le livre, parce qu’il lui est trop émotif de se plonger dans tout ça, elle insiste sur la nécessité de mettre en scène l’ensemble des déclinaisons d’existence : « On en revient toujours à ça, mais je pense que c’est tellement important, surtout pour les enfants qui se sentent différents — peu importe leurs raisons —, qu’ils voient leur image dans des fictions. »

Elle en profite pour saluer l’initiative de ses éditrices, qui ont tenu à représenter une maman ronde : « Moi, j’aurais jamais osé demander ça, et sur le coup, je me suis dit, bah pourquoi pas. Mais c’est en le recevant que j’ai réalisé — et j’en lis beaucoup, des albums jeunesse — que je n’avais presque jamais vu ça. Conséquemment, j’ai compris à quel point c’était important. Pas pour que ça me ressemble, mais pour que ça soit aussi porteur d’une diversité, à tous égards. »

Généreux, les mots de l’écrivaine sont empreints d’une vulnérabilité qui trahit des jours plus difficiles. Mais ses pas de recul semblent l’occasion de camper une perspective nouvelle ou, mieux encore, de donner de l’élan à sa volonté renouvelée de venir en aide, de réfléchir le monde de demain et de nourrir ce rire si naturel qu’elle possède. On ne s’étonne donc pas que ses livres soient des mains tendues pour nous aider à accepter les défis du quotidien et les questionnements qui le traversent.

Dans Mon arbre à musique, une mère répond aux questions de sa fille. En vérité, Catherine Voyer-Léger, qui « écrit dans une optique de dialogue », offre des éclaircies aux êtres dont les histoires se distinguent, mais aussi aux gens qui les côtoient, désireux de les comprendre : « Je pense que plus on multiplie les figures de modèles différents, plus on permet aux enfants de trouver leur place, de se reconnaître et de reconnaître leurs amis. Parce que les amis de ma fille se posent beaucoup de questions. Ils veulent comprendre cette histoire qui leur échappe. »

Grandir à deux

Le soleil perce toujours les fenêtres du café et inonde les réflexions de Catherine Voyer-Léger : « Qu’est-ce que c’est, un parent ? C’est quand même une question intéressante. Quand tu es dans un processus comme celui-là — l’adoption en banque mixte [en devenant famille d’accueil] —, c’est une question qui devient cruciale dans ta vie, parce que tu te rends compte que c’est pas juste une chose, un parent. »

À cette mère qui a donné naissance à sa fille succède ainsi celle « qui s’incarne dans le soin au jour le jour ». La parentalité est une aventure qui, tous les jours, emprunte de nouvelles avenues, renouvelant perpétuellement le lot des défis.

Menant ses combats, sa fille évolue dans l’amour et, avec elle, Catherine Voyer-Léger se transforme : « Avoir un enfant, c’est rencontrer quelqu’un. Cette personne que tu rencontres va t’apprendre énormément de choses. Moi, je suis quelqu’un qui a détesté, dans ma vie, déranger, qui a tout fait pour déranger personne, mais là, c’est fini. Parce que si je veux que ma fille soit bien et qu’elle soit accueillie, il faut que je dérange le monde constamment. C’est pas confortable, mais c’est ça. » Vivement qu’elle vienne nous déranger de nouveau.

Mon arbre à musique

Texte de Catherine Voyer-Léger, illustrations de Catherine Petit, Station T « Jeunesse », Montréal, 2023, 32 pages. À partir de 4 ans.

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