Notre sélection de polars du mois d’avril

Photo: Frédérick Florin Agence France-Presse

La mort au musée

D’abord, savoir qu’il est préférable d’avoir lu Le musée des femmes assassinées avant de plonger dans Leçon de rouge, qui en est la suite. Ensuite, être conscient qu’aimer/connaître Los Angeles fera grimper de plusieurs échelons l’appréciation de ce roman, à l’arrivée moins réussi que le précédent. Enfin, avoir conscience que connaître le monde de l’art contemporain s’avère un grand atout : c’est dans ce monde qu’évoluait Maria Hummel avant de se lancer dans l’écriture de thrillers. Ce qu’elle en dit, ce qu’elle en présente, sa façon de l’utiliser comme toile de fond pour y appliquer, force rouge (sang), des images implacables démontrant et dénonçant la fétichisation des femmes, tout cela est aussi puissant que dérangeant et senti. En prime, ici, un personnage fascinant, jeune artiste au talent prometteur, dont la vie sera fauchée parce qu’ainsi va… la vie. Et la mort. Suicide ? Meurtre ? À l’imparfaite et parfois agaçante Maggie Richter de trouver. De prouver. De convaincre. Elle y parvient, mais cahin-caha.

Sonia Sarfati

Leçon de rouge
★★★
Maria Hummel, traduit de l'anglais (États-Unis) par Thierry Arson, Actes Sud «Actes noirs», Paris, 2023, 332 pages

 

 

Feuilleton massif

On referme Rétiaire(s), de DOA (pour Death on Arrival, nom de plume d’Hervé Albertazzi), en se disant qu’il y a là de quoi faire une série télévisée violente, très noire, complexe et généreuse en personnages. On n’y craindrait pas les ramifications et on n’y sous-estimerait pas le spectateur. Il se trouve qu’en fait, ce nouveau roman de l’auteur du monumental Cycle clandestin devait, à l’origine, être une minisérie. Sauf que des concessions ont été demandées. Dénaturer ou changer de média ? Poser la question, c’est y répondre. Voici donc ce gros bouquin où l’on trouve une enquêtrice de l’Office anti-stupéfiant qui doit faire ses preuves ; un policier des Stups borderline (le prologue lui est consacré et il revient en mémoire à chaque apparition du personnage) ; des relations troubles entre représentants des forces de l’ordre et gangsters ; des guerres de clans ; et assez d’acronymes et d’argot pour remplir un glossaire de quatre pages. C’est du mastoc. Mais faut pas se laisser écraser. La traversée en vaut la chandelle. Et l’effort.

Sonia Sarfati

Rétiaire(s)
★★★★
DOA, Gallimard, Paris, 2023, 431 pages

 

 

Reconquêtes en tous genres

De Montréal à Tel-Aviv, puis de Paris jusqu’à Murdochville en passant par la Bretagne, on suit ici l’enquête d’un prof d’architecture de McGill, Dan Katz. Il prépare un livre sur la construction — dans les années 1930 — et l’utilisation de la Cité de la Muette à Drancy, en banlieue parisienne. En fouillant dans des archives, Katz retrouve le nom de son grand-père, qui fut torturé dans ce camp à la sinistre réputation avant d’être déporté puis assassiné à Auschwitz. Il retrouvera aussi les descendants du gendarme qui a dénoncé son aïeul et découvrira sans surprise un lien avec un parti d’extrême droite français dirigé par un certain Le Guen. Mais les choses prennent une dimension insoupçonnée quand Katz met au jour un lien entre ces néofascistes et le Québec… et là le récit prend des allures un peu maladroites, disons. N’empêche, l’histoire est fascinante ; l’écriture de Michael Blum, un professeur de l’UQAM, est un peu sèche, oui, mais pleine de promesses. Décidément, les gens d’Héliotrope ont du flair !

Michel Bélair

Domaine Lilium
★★★
Michel Blum, Héliotrope-Noir, Montréal, 2023, 248 pages

 

 

Le vrai et le faux

Quel livre déroutant ! Tout s’amorce comme un polar « ordinaire » : un meurtre violent lors d’un deal de drogue raté dans un squat de la banlieue de Stockholm. Mais plus les policiers fouillent, plus ils découvrent des trucs bizarres et révoltants. Nous voilà bientôt plongés dans un récit se déroulant à plusieurs niveaux, à plusieurs époques, et impliquant des enfants élevés à la dure — pour ne pas dire plus — dans une communauté de type amish… Ajoutez à cela un écrivain célèbre qui se retrouve de plus en plus compromis par l’enquête, quelques personnages androgynes qui viennent compliquer la donne et des fragments d’un journal intime aux brillants accents poétiques tiré de l’oubli. L’enquête est menée par une policière qui fouille sans relâche pour démêler le vrai du faux en ne faisant confiance à personne… et qui ne trouve, partout autour d’elle, que des gens déchirés par la vie. Tout cela porté par une écriture aux accents divers, souple, aussi déroutante, on l’a dit, qu’envoûtante. Bingo.

Michel Bélair

Saison morte
★★★★
Erik Axl Sund, traduit du suédois par Rémi Cassaigne, Actes Sud «Actes noirs», Arles, 2023 443 pages

 

 

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