«Franz Kafka ne veut pas mourir»: autour de l’âme de Kafka

Robert Klopstock était médecin et passionné de littérature. Il était au chevet de Franz Kafka le jour de son décès. Laurent Seksik est médecin et écrivain. Il a dédié sa thèse de doctorat en médecine à Franz Kafka et à Stefan Zweig.
Il vient aussi de signer son dernier roman, Franz Kafka ne veut pas mourir, aux éditions Gallimard. Ce roman fait partie d’une série d’ouvrages biographiques, entièrement basés sur des faits avérés, mettant en scène, notamment, Stefan Zweig et Albert Einstein, sommités juives ayant vécu la montée du nazisme et la Seconde Guerre mondiale.
Cette fois, c’est à travers le personnage de Robert Klopstock que Laurent Seksik se transporte aux côtés de Franz Kafka malade. Il suivra ensuite ses amis intimes, qui ont défendu ses livres et sa mémoire après sa mort, alors que la fureur antisémite gronde sur l’Europe.
Dans ce cercle restreint de fidèles, on retrouve aussi Dora Diamant, la dernière compagne de Kafka, et Ottla Kafka, sa soeur, dans la peau desquelles Seksik se glisse aussi tour à tour.
« Tout est vrai dans ce roman. Je m’appuie sur une documentation extrêmement précise et extrêmement riche. En tant que romancier, je me mets dans la peau des personnages. C’est un immense défi », dit Laurent Seksik en entrevue.
« Kafka n’a pas besoin de moi ni de quelque écrivain que ce soit. Le but, c’est d’apporter un nouvel angle, un nouvel éclairage », ajoute-t-il.
La recherche de Seksik pour Franz Kafka ne veut pas mourir a commencé par la découverte de cette phrase, que Kafka a dite à Klopstock à ses dernières heures : « Tuez-moi, sinon vous êtes un assassin. »
« Ça a été le point de départ, dit-il. De trouver ses dernières paroles et de voir à qui elles s’adressaient. J’ai essayé de dérouler le fil d’une vie. »
Détruire son oeuvre
Mort en 1924, Franz Kafka a échappé, de son vivant, à la montée du nazismeen Europe. Son oeuvre, elle, a été farouchement protégée par ses proches, parfois aux dépens de la volonté même de Kafka. Dans ses dernières volontés, Kafka demandait en effet que tous ses écrits soient détruits, sauf quelques titres : Le verdict, Le soutier, La métamorphose, La colonie pénitentiaire, Un médecin de campagne et Un artiste de la faim.
Dans une scène particulièrement forte du livre, Robert Klopstock se rend à une réunion de la revue JudischeRundschau, l’une des rares revues juives encore autorisées à paraître à Berlin en 1934, où on débat de l’idée de publier un numéro hommage à Franz Kafka. Déjà, à cette époque, des livres écrits par des auteurs juifs ont été brûlés. Le peuple allemand n’a plus le droit de lire des livres écrits par des Juifs.
Depuis le début, dans mon écriture, et sans doute bien avant, j’ai cette ambition de décrire à travers mes romans une perte. De faire la cartographie de la destruction des Juifs d’Europe. Les sujets de mes romans essaient de constituer cette cartographie.
Toute l’oeuvre de Laurent Seksik est d’ailleurs traversée par cette folie exterminatrice qui a frappé le peuple juif au milieu du XXe siècle. À travers ses personnages, il peint le tourment d’une époque, le vent noir de la destruction des Juifs de Prague dans le cas de Kafka, de Vienne pour Stefan Zweig, et de Berlin pour Albert Einstein.
« Depuis le début, dans mon écriture, et sans doute bien avant, j’ai cette ambition de décrire à travers mes romans une perte. De faire la cartographie de la destruction des Juifs d’Europe. Les sujets de mes romans essaient de constituer cette cartographie », dit-il.
Cette cartographie, elle prend souvent forme à travers les destins de personnages moins connus, périphériques au personnage principal.
Un destin kafkaïen
Dans le cas de Stefan Zweig, ce pourrait être Charlotte Elisabeth Altmann, dit Lotte, qui s’est suicidée à la suite de l’écrivain à Petropolis, au Brésil, en 1942. Dans le cas d’Einstein, l’attention est mise sur son fils Eduard Einstein, qui a fini ses jours dans un hôpital psychiatrique de Zurich, en Suisse. Autour de Kafka, sa dernière compagne, Dora Diamant, aura un destin kafkaïen. Elle fuit Berlin pour se réfugier à Moscou en 1936, après que la Gestapo lui eut confisqué des écrits de Kafka qu’elle traînait avec elle depuis sa mort.
En URSS, terre promise de certains Juifs de l’époque, le psychodrame se poursuit pourtant. Accusée de ne pas être assez communiste pour adhérer au Parti communiste soviétique, elle doit fuir à nouveau pour éviter les purges de Staline. En route vers Londres, où elle doit se débarrasser de sa condition d’« ennemie étrangère », elle apprend que sa famille entière a disparu sous la poigne nazie.
« D’un point de vue romanesque, je n’aurais pas pu l’inventer, dit Laurent Seksik au sujet de Dora Diamant. Aucun romancier ne peut inventer une vie aussi romanesque que le destin de Dora Diamant. »
Quant à Robert Klopstock, qui n’a pas pu, alors qu’il était étudiant, sauver son ami Franz Kafka de la mort, il deviendra, à Brooklyn, l’un des plus grands chirurgiens thoraciques au monde.