«Le fils du Trickster»: entre réalités et mythes autochtones

Dans les enseignements et la tradition orale autochtones, le « Trickster », ou « filou », est un personnage mystérieux, tantôt héros culturel, tantôt fauteur de troubles, un puissant sage capable de changer de forme et de passer du monde des esprits au monde tangible pour jouer des tours et enseigner des leçons aux humains.
Chez les Premières Nations haisla et heiltsuk — communautés de l’écrivaine Eden Robinson —, l’histoire, racontée aux enfants pour leur enseigner les bonnes manières, fait du Trickster, aussi connu sous le nom de Wee’git, un corbeau qui brise les règles et n’hésite pas à séduire et à manipuler les gens pour arriver à ses fins.
Le fils du Trickster, premier tome d’une trilogie, déjà adapté au petit écran — la série Trickster peut être visionnée sur ICI Tou.tv —, raconte l’histoire de Jared, un jeune Autochtone de 16 ans qui s’avère être le fils illégitime du Wee’git. Accro à l’alcool et à la cigarette, Jared tente de peine et de misère de terminer son secondaire, entre son commerce illégal de biscuits au pot, sa mère alcoolique et toxicomane ainsi que son franc-parler et son trop grand coeur, qui le mettent souvent dans de beaux draps.
Puis, il y a les apparitions, les hallucinations : des loutres cannibales, des hommes-gorilles, des lucioles philosophes et des visages à deux faces, moitié monstre, moitié homme, qui le hantent et le tourmentent, le révèlent à lui-même, font la lumière sur ses origines et esquissent un avenir qu’il n’avait jusqu’alors jamais envisagé.
Comme le Trickster qu’elle met en scène, Eden Robinson offre un récit polymorphe et imprévisible, qui mélange habilement les genres et parvient à faire cohabiter un réel oppressant et violent avec l’inquiétante étrangeté de la mythologie, principalement grâce à la cohérence de son protagoniste, cantonné, dans un univers comme dans l’autre, dans une position de résistance et de survie.
L’écrivaine ouvre ainsi les portes d’un imaginaire gothique d’une grande richesse et fomente un récit prodigieusement subversif où l’intimité s’affiche dans toute son authenticité, exhibant avec fierté les failles qui jalonnent sa construction comme son identité, ne se laissant jamais plomber par le jugement du lecteur.
L’autrice conduit son action et construit ses personnages à travers des dialogues puissants d’oralité et d’émotions brutes, où transparaissent l’amour et la compassion, en dépit de la violence, de la négligence et de la souffrance.
Le résultat, parfois chaotique, ne témoigne pas d’une grande recherche formelle et stylistique et traîne quelques longueurs. Or, rien de tout cela n’empêche Eden Robinson d’offrir un portrait juste et lucide de la réalité autochtone au Canada et, surtout, de concevoir un univers énigmatique qui happe, maintient l’intérêt et laisse entrevoir une foule de déclinaisons.