Hommage au premier «je t’aime»

J’ai demandé à des personnes qui m’entourent si elles se souviennent de la fois où leur grand amour leur a dit « je t’aime » pour la première fois. Le contexte, la gêne, le bonheur, une autre réaction ? Ou du premier « je t’aime » qu’elles ont décidé de prononcer. Parce que c’est ça, l’affaire, han : si un des deux ne se jette pas, ça ne va pas se passer.
À moins que les deux le disent exactement en même temps. C’est ce que j’ai vécu avec le père de mes enfants : un premier « je t’aime » qui n’a absolument rien eu d’intense, mais qui a eu cette particularité-là… d’être en même temps. À l’image de la relation qui a suivi, je dirais. Pendant quelques années, la vie était facile, nos mouvements se faisaient avec une certaine synchronicité. Un premier « je t’aime » singulier, mais qui n’a pas été un gage de longévité… Nous ne sommes plus ensemble aujourd’hui.
« Cuuute ! » de s’exclamer une amie, quand j’ai ouvert le sujet pour connaître son histoire avec son fiancé. « Mais je suis gênée, comme », a-t-elle poursuivi, ce qui m’a vraiment fait sourire. Mon amie avec un vocabulaire spectaculaire, un français toujours impeccable… s’exprimait soudainement comme une ado qui regardait Watatatow dans les années 1990. Comme quoi se remémorer la scène intime peut parfois faire fondre à nouveau. Cute toi-même !
J’ai appris que beaucoup d’amoureux, étonnamment, ne se souviennent pas du premier « je t’aime ». « Aucun souvenir, même flou, mais en tout cas, il a dû arriver ultrarapidement, parce qu’une semaine après notre rencontre, il n’est jamais retourné dormir chez lui », me dit ma mère au sujet de mon beau-père. « Et puisqu’on se le redit à chaque jour depuis 35 ans, il a dû y en avoir au moins 12 000 autres ensuite », calcule-t-elle à ma demande. (Hihihi.)
Une autre proche m’a raconté ce que je croyais impossible : le « je t’aime » à moitié. Et non, ce n’est pas le fameux « je t’apprécie » (dont on ne veut jamais rien savoir, en passant). Ils venaient de vivre un magnifique moment de tendresse (faire l’amour, pour vrai), et elle les attendait, les deux fameuses syllabes. Ça ne pouvait pas être rendu plus clair, vous comprenez ? Ils étaient rendus là. Le hic : elle ne voulait pas le dire en premier. Mais elle n’allait surtout pas le lâcher des yeux quand ils se regardaient avec profondeur. Comme pour dire : « aweille, chu prête ». Et lui de répondre au silence… « Moi aussi. » (« Toi aussi QUOI ? ! ») « Bin, moi aussi, tu sais bien ! »
Bon, un autre qui ne veut pas le dire en premier… Pourquoi ?
« Parce qu’on n’a pas envie d’être rejeté, aussi simple que ça. On laisse donc le temps qu’il faut à l’autre, pis quand ça arrive, c’est un immense bonheur, carrément un soulagement. »
Est-ce que ceux qui ne le disent pas en premier ont en général plus peur du rejet dans leur vie ? Je pose la question sans pouvoir y répondre.
Mais je vais vous raconter le « je t’aime » le plus étonnant de mon histoire. Il est récent, avec une petite fille de mon entourage. Je ne m’y attendais pas et je ne l’attendais pas non plus, je lui laissais du temps. Je m’en allais faire peu-pi, dans la lune, quand je l’ai aperçue dans le couloir. Un peu comme une petite fille qui apparaît vêtue d’une robe ancienne dans un film d’horreur (les deux tresses en moins) : elle a un message à passer, et il vaut mieux que je l’écoute.
« J’t’aime », a-t-elle clairement prononcé, mais très rapidement. Aussitôt entendu, aussitôt dans mes bras, et aussitôt les larmes qui ont coulé partout. Et là, ma préado de lancer au loin : « On jouait au coin-coin et c’était sa conséquence : elle devait dire “je t’aime” à quelqu’un. »
Ouch. Mais j’ai continué de la serrer quand même.
— Quoi, ma p’tite maudite ? ! Tu me dis « je t’aime » pour la première fois parce qu’on t’a obligée à le faire ? Pire : parce que je passais par-là ? !!
— Nooon. Mais oui, mais non… Parce que j’te jure, Maya… C’est vrai. Vraiment vrai.
Parfois, c’est ce qu’il faut. Un jeu d’enfant, qui change une vie.