«Pays de sang»: à la source des péchés originels

L’écrivain Paul Auster et le photographe Spencer Ostrander présentent un ouvrage hybride sur l’histoire de la violence aux États-Unis qui est aussi un recueil de photos sur les lieux de massacres qui ont endeuillé nos voisins du Sud.
Dans son dernier livre, Pays de sang, l’écrivain Paul Auster s’interroge. Qu’est-ce qui fait des États-Unis le pays le plus violent au monde ? Sans vraiment parvenir à répondre à cette délicate et souffrante question, le romancier new-yorkais revient sur les racines de la violence américaine, illustrées par une quarantaine de clichés pris par son gendre Spencer Ostrander. Un stationnement, une église, un immeuble, des écoles ou le bord d’une route, les photographies neutres et sans couleurs de Spencer Ostrander immortalisent les sites, aujourd’hui désertés, où se sont produites des tueries de masse.
« Les Américains ont vingt-cinq fois plus de chances de se faire tirer dessus que leurs homologues dans d’autres pays riches et supposés évolués », écrit Paul Auster. Et les statistiques lui donnent raison : il y a 393 millions d’armes en circulation aux États-Unis, 40 000 décès par balle chaque année, plus de 100 morts dans le pays chaque jour. Un million et demi de vies américaines ont été « détruites » par balle depuis 1968, rappelle l’écrivain, soit « plus de morts que la somme totale des morts causés par les guerres qu’a connues le pays depuis le premier tir de la Révolution américaine ».
Si l’auteur de la Trilogie new-yorkaise additionne à travers un discours historico-politique les macabres statistiques, c’est pour mieux en révéler la continuité. Comme le note l’écrivain, les États-Unis entretiennent une relation ambivalente, unique et profonde avec les armes depuis la signature de la Constitution américaine, en 1787, et son inamovible deuxième amendement, renforcé au fil du temps par la Cour suprême. L’auteur appuie ses arguments sur les travaux de nombreux experts, comme les juristes et spécialistes constitutionnels Michael Waldman et Adam Winkler.
Chapitre après chapitre, les superbes images monochromes du photographe et le plaidoyer choc de l’écrivain donnent de la force à ce court essai où défilent les noms et les profils de tueurs de masse ayant agi aux quatre coins d’un pays hanté (ou piégé) par les armes à feu depuis les premiers jours de sa fondation. Paul Auster, dont les médecins viennent de lui diagnostiquer un cancer, se confie aussi dans cet ouvrage hautement pessimiste, malgré quelques lueurs d’espoir. Il y révèle également un terrible secret de famille, le meurtre par balle au Wisconsin en 1919 de son grand-père paternel, par sa grand-mère.
À la manière du documentaire Bowling for Columbine, de Michael Moore, l’écrivain de 76 ans creuse dans les racines coloniales d’un pays habité très tôt par la psychose de la violence et de la peur. Il cite deux péchés originels, sources de la violence à l’américaine. La conquête de l’Ouest, marquée par des combats d’une agressivité extrême, en particulier envers les Premières Nations, et le second, l’esclavage, qui sera suivi par l’apartheid et les violences racistes des sudistes avec l’application des lois ségrégationnistes Jim Crow. À cela, l’auteur ajoute l’époque de la prohibition, la guerre du Vietnam et la montée du puissant lobby NRA et des groupuscules nationalistes blancs, tout un maelström qui, mis bout à bout, fait l’autopsie d’une nation amochée et divisée comme jamais.