«Le plein d’ordinaire»: splendeurs et misères de l’adolescence

L'auteur Étienne Tremblay
Photo: Katya Konioukhova L'auteur Étienne Tremblay

« C’est l’été à Boucherville, ce fameux été entre le secondaire et le cégep où on sent qu’on va devenir quelqu’un, mais on ne sait pas trop encore qui au juste. » Cette phrase, inscrite en quatrième de couverture du Plein d’ordinaire, résume à la perfection le premier roman d’Étienne Tremblay : le récit de Mathieu, un adolescent comme les autres, dont les rêves sont aussi grandioses que les dérapages, les amours, aussi puissants que les ennuis.

Employé de nuit dans une station-service, Mathieu, seul et aliéné par un flux de pensées qu’il ne parvient pas à énoncer, encore moins à démêler, se consume au rythme des cigarettes et des joints qu’il enchaîne. Entre une activation de pompes à essence et deux vérifications de billets de loto, le jeune homme cherche dans les couchers de soleil et les instants suspendus la poésie et la distance avec le monde qui lui permettront de marcher dans les traces de Boris Vian, de forger sa nouvelle identité d’homme et, surtout, de trouver le courage de séduire la belle Val.

Fort de la candeur, des illusions, de la confiance et du goût du risque d’une adolescence privilégiée, Mathieu est vite confronté à la réalité de ses erreurs, de ses manquements et de ses regrets, entreprenant le chemin imprévisible — et semé de mauvais choix — de la vie adulte.

Chronique ordinaire des joies et misères de l’adolescence, Le plein d’ordinaire donne âme et corps à la réalité pétrie d’ennui d’une jeunesse cernée par les contours d’une banlieue et par ses promesses d’au-delà, quelque part à la fin des années 2000. Dans un portrait honnête et sans concession, Étienne Tremblay embrasse à pleine bouche la nostalgie d’une époque encore charnelle, où les fêtes et les plaisirs illicites se vivaient en groupe, où la distance, le manque et le désir s’imprimaient dans la chair et ne pouvaient être comblés par l’illusion de proximité que font miroiter les réseaux sociaux.

La langue crue, incarnée et sensuelle de l’auteur se manifeste dans une éruption de divagations, de fantasmes, de colères et d’idées interrompues qui se heurtent aux limites et aux prises de conscience qu’impose l’âge adulte, accélérées ici par la monotonie du service à la clientèle.

« Tu te fais dire que t’écoeures le peuple avec tes affaires de carte de fidélité, pis cinq minutes après tu te fais traiter de voleur parce que t’as oublié de rappeler à madame qu’elle en possède une. Après avoir dealé avec des dizaines d’adultes qui ont pas eu assez du triple des années que toi t’as passées sur Terre pour apprendre à dire bonjour, passé dix-huit heures, t’as des espèces de stagiaire en bienséance qui te pètent une latte parce que tu dis bonjour à la place de bonsoir. »

L’antihéros imaginé par Étienne Tremblay, un splendide loser doté d’une sensibilité et d’un sens des responsabilités en construction, pourrait difficilement être plus attachant, s’enfonçant à chaque page dans une prévisibilité tout aussi exaspérante que cathartique. Un roman en apparence simple, qui assume son côté nostalgique en portant aux nues l’espoir et la splendeur des excès.

Le plein d’ordinaire

★★★ 1/2

Étienne Tremblay, Les Herbes rouges, Montréal, 2023, 320 pages

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