«Faut-il brûler Tintin?»: à la défense du reporter à la houppette

La couverture de l'essai « Faut-il brûler Tintin ? » de Renaud Nattiez
Photo: Éditions Sépia La couverture de l'essai « Faut-il brûler Tintin ? » de Renaud Nattiez

Son visage lisse et sans âge n’y fait rien : le personnage de Tintin continue, 40 ans après la mort de son créateur, Hergé, de faire couler l’encre et fuser les critiques.

En 2019, deux des albums mettant en scène le célèbre reporter ont été détruits dans la foulée de l’autodafé qui a sévi dans les bibliothèques de la commission scolaire catholique Providence, en Ontario. Il s’agissait des albums Tintin en Amérique et Le temple du Soleil, qui véhiculaient, arguait-on, des informations erronées et péjoratives sur les Premières Nations.

Depuis plusieurs années, l’album Tintin au Congo, écrit à l’époque du colonialisme belge, s’attire de virulentes critiques sur le portrait qu’il fait des Congolais. L’album a été retiré de plusieurs librairies britanniques et ne sera pas traduit en Afrique du Sud. Déjà, de son vivant, Hergé avait retiré une case de l’album où Tintin tenait des propos racistes d’un colonialisme honteux…

C’est sans parler du livre Céline, Hergé et l’affaire Haddock d’Émile Brami, qui avançait au début des années 2000 que plusieurs jurons du capitaine Haddock étaient tirés d’un manifeste antisémite de Céline. Aussi, encore une fois, Hergé avait retiré de l’album L’étoile mystérieuse une case dans laquelle un Juif se réjouit de la fin du monde parce qu’elle lui évitera de payer une dette. L’étoile mystérieuse est d’ailleurs paru à l’origine dans Le Soir volé, quotidien collaborationniste publié en Belgique sous l’occupation allemande.

Malgré tout cela — et en le reconnaissant —, Renaud Nattiez, admirateur de Tintin de la première heure (il l’a feuilleté avant de savoir lire), réitère dans son dernier livre, Faut-il brûler Tintin ?, son admiration pour Hergé et pour son oeuvre.

Dans ce livre, qui fait suite à plusieurs autres que l’auteur a consacrés à Tintin, Renaud Nattiez énumère les arguments qui alimentent le discours des « tintinophobes » ou, plus largement, de ceux que les aventures du reporter du siècle dernier laissent indifférents.

Tintin, demande-t-il, est-il dépassé ? Politiquement incorrect ? Est-il un réactionnaire colonialiste et raciste ? Est-il misogyne ? Antiécologiste ? Trop moral ou, plus simplement, complètement dénué d’humour ? Dans chacun des chapitres de son nouvel ouvrage, Renaud Nattiez décortique chacune de ces critiques, sans d’ailleurs les rejeter.

« Si un certain nombre de propos jugés trop datés ont été expurgés de la version originale publiée dans le volume 1 des Archives Hergé, le jugement positif du fox-terrier sur l’action des Pères blancs est maintenu dans la version actuelle : “Quels as, ces missionnaires !” » relève-t-il.

C’est sans parler de la faible présence féminine dans Tintin, qui jure même quand on la compare à celle d’autres littératures de la même époque. « On ne voit pas de femmes médecins ou chirurgiennes dans Tintin. Et si on regarde la littérature contemporaine d’Hergé, elle me semble plus objective envers les femmes, qui avaient un rôle social à ce moment-là », dit Renaud Nattiez en entrevue.

Mais la grande absente de Tintin, c’est la famille, note-t-il. À tel point qu’à l’époque, le journal catholique Coeurs vaillants avait protesté auprès de l’éditeur de Tintin, qui avait ensuite obligé Hergé à concevoir la bande dessinée Jo, Zette et Jocko, qui met en scène une famille et un singe (et dont Hergé s’est lassé au bout de cinq albums).

Tintin, un héros trop lisse ?

Dépressif, Hergé avait, semble-t-il, une relation ambiguë avec Tintin : lui-même le trouvait « trop parfait ». C’est sans doute aussi l’avis de ses lecteurs, qui choisissent plutôt dans les sondages Milou ou le capitaine Haddock comme personnage préféré.

« Hergé a eu des consultations avec un psychanalyste de l’école de Jung, ajoute Renaud Nattiez. À l’époque, à la fin des années 1950, il avait conseillé à Hergé de se reposer et d’éliminer ce qu’il appelait le démon de la pureté, la recherche obsessionnelle de la pureté. Il lui avait dit : “Surtout, abandonnez ce projet de Tintin au Tibet”, un album traversé par la blancheur dans la montagne. Hergé ne lui a pas obéi. Il a continué Tintin au Tibet et il a dit que cela lui avait fait du bien. »

Il reste que la quête de Tintin est de faire triompher le Bien sur le Mal, reconnaît-il, au point que ses détracteurs lui reprochent souvent de ne pas être très rigolo. Hergé faisait d’ailleurs le même reproche à son personnage principal. Renaud Nattiez évoque une lettre qu’Hergé a écrite lui-même à Tintin. « Il lui écrit : “Je ne serai jamais comme toi, tu m’énerves, tu es trop parfait.” Mais il dit aussi “Tintin, c’est moi”, comme Flaubert aurait dit “Madame Bovary, c’est moi”. Mais Hergé disait “Haddock, c’est moi” aussi, comme les Dupondt et le professeur Tournesol. C’est normal, ce sont ses créatures. »

Ces créatures hergéennes, Renaud Nattiez désire toutes les sauver du grand feu de l’oubli, y compris leurs innombrables défauts. Et la vente des albums de Tintin à travers le monde, qui persiste même si aucun nouvel album n’est paru depuis la mort de son créateur, aurait tendance à lui donner raison.

Faut-il brûler Tintin ?

Renaud Nattiez, Éditions Sépia, Paris, 2023, 224 pages

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