«La recette de l’amour»: Léa Stréliski lance un appel à l’intimité

Dans son premier essai, La vie n’est pas une course (2019), l’humoriste Léa Stréliski appelait les lecteurs à ralentir, à se détourner des exigences anxiogènes de performance et de réussite qui modèlent nos existences et nos sociétés, pour mieux se reconnecter à l’essentiel. Mais c’est quoi, au juste, l’essentiel ? Qu’y a-t-il au-delà de cette course qui dicte nos actions, nos ambitions, nos rapports à l’autre et au monde ?
La réponse est au coeur de son deuxième livre, La recette de l’amour, dans lequel elle entreprend une réflexion sur la quête amoureuse, mais surtout sur la quête de soi, de ses véritables désirs, de sa véritable essence. Le tout avec une bonne dose de tendresse, d’humour et d’autodérision.
C’est le titre qui m’est apparu en premier. Appliquer un langage de vendeur d’aspirateurs à quelque chose d’aussi fondamental que l’amour, c’est complètement ridicule, mais ça me fait rire.
« C’est le titre qui m’est apparu en premier, se remémore-t-elle, attablée dans un café du Plateau Mont-Royal. Appliquer un langage de vendeur d’aspirateurs à quelque chose d’aussi fondamental que l’amour, c’est complètement ridicule, mais ça me fait rire. En amour comme dans la vie, dès que tu penses que tu as compris quelque chose, il t’arrive un truc qui t’amène complètement ailleurs. Mais j’ai un côté “self help” très présent. J’ai donc voulu partir de mon expérience et de ma relation amoureuse — que je juge plutôt réussie — pour offrir des conseils et des réflexions. »
L’humoriste est consciente d’aborder ce sujet extrêmement complexe à partir d’une position privilégiée. « Pour se poser ce genre de question, il faut avoir dépassé le stade de la survie. Il faut avoir un toit, de la nourriture, du temps, ce dont dispose un petit pourcentage d’humains sur Terre. J’essaie donc d’être le plus terre à terre possible. »
Un gâteau compliqué
Selon Léa Stréliski, la recette de l’amour véritable ne nécessite que très peu d’ingrédients. Malheureusement, cela ne signifie pas qu’elle est facile à réaliser. « La recette est simple, mais le gâteau est compliqué. Ça vient avec beaucoup de travail. »
En guise de farine, élément essentiel, elle cite l’intimité, une relation que l’on doit d’abord bâtir avec soi-même, avant de pouvoir rêver de tisser des liens solides avec autrui. « La clé, c’est la connaissance de soi. Essayer de ne pas se mentir, de vivre en adéquation avec ce que l’on est et ce que l’on désire, même si ça nous effraie. C’est beaucoup plus facile de porter un masque, d’entretenir une image irréaliste sur les réseaux sociaux, que de présenter sa vérité au monde. C’est un pli qu’on prend dès l’enfance, pour obtenir de l’affection de nos parents, répondre à l’image qu’ils ont de nous. Or, c’est impossible de bâtir des liens authentiques lorsqu’on se ment à soi-même, puisque personne ne peut nous connaître, et encore moins nous satisfaire. »
Pour laisser cette vérité s’exprimer, pour la mettre au service de son évolution personnelle et de celle de son couple, il faut aussi être capable de se mettre en colère ; un sentiment auquel les femmes ont peu accès puisqu’il est refoulé, réprimé et montré du doigt dès la tendre enfance. « Les femmes, on est plutôt élevées pour être jolies, polies, serviables. C’était tellement internalisé chez moi que je ne comprenais pas quand mon psy me parlait de colère saine. »
La colère saine, loin de tomber dans la violence et la destruction, serait plutôt féconde, source de progrès, de paix, d’égalité, d’introspection et de protection. « Après des années de travail, j’ai compris que la colère saine, c’est celle qui protège ce qui est fragile. Cet apprentissage est d’autant plus important à l’ère des réseaux sociaux, où on a tendance à tous loger à la même adresse et à croire que toutes les opinions se valent. Je ne suis aucunement d’accord avec ça. Il y a des choses dans la vie qui vont mourir si on ne les protège pas : les enfants qui n’ont pas de voix, qui se font frapper en allant à l’école, qui sont envoyés au front ; la démocratie ; les démunis ; les minoritaires. »
Dans le couple, cette capacité à se fâcher et à « mettre son pied à terre »est essentielle pour que les deux parties s’accomplissent, grandissent, soient fidèles à eux-mêmes, atteignent une certaine forme d’équité. « Mon mari ne se sent pas menacé par mes prises de parole, ma visibilité publique, mon rêve d’être sur scène. Mon ex sentait que ça affectait sa virilité. C’est certain que cette relation était vouée à l’échec. Il faut que notre douce moitié soit capable d’entendre ce qui est important pour nous, que les fondements de notre être ne soient pas piétinés, que cette personne porte cet amour avec nos vies. »
Appel à l’intimité
Parce qu’on porte avec nous les blessures du passé, qu’on a eu mal, peur, vécu des deuils, il est normal d’accueillir l’amour dans nos vies avec un bras de distance, pour se protéger d’éventuelles souffrances. « Mon mari a perdu sa copine dans un accident de voiture lorsqu’il avait 20 ans. Il a vécu l’inimaginable. Il aurait pu rester coincé dans sa noirceur et ses démons. Mais il a fait le choix de transformer cet amour en quelque chose de plus grand, et surtout, de se permettre d’aimer de nouveau. L’amour demande du courage. Il me répète souvent que quand les gens meurent, tout ce qu’il nous reste, c’est la certitude de les avoir aimés de notre mieux. »
L’un des problèmes de notre époque, selon Léa Stréliski, c’est notre tendance à confondre amour et admiration. « L’ego est un piège. On pense à tort que l’amour se compte en likes. » Elle rêve que notre obsession du résultat, de la performance et de la reconnaissance s’efface au profit d’une société qui défend la fragilité, l’amour, le respect des âmes.
« Mon livre est un appel à l’intimité, qui est pour moi l’inverse de l’ego. J’aimerais qu’elle soit cultivée, conservée, étudiée et enseignée dès le primaire. Je voudrais que ça se voie partout dans nos villes, nos quartiers. Qu’on les pense pour préserver la joie, la beauté, la poésie, l’harmonie et l’amour. »