Salon du livre de Québec - Les univers parallèles d'Élisabeth Vonarburg

Tiffet
Photo: Tiffet

Pour Élisabeth Vonarburg, les mots ont toujours été magiques. «Donnez-moi un annuaire de téléphone, je vous fais des histoires avec.» On la croit sans peine, vu la prolixité de son oeuvre depuis 25 ans et son aisance à construire des univers parallèles. Avec La Maison d'oubli, première partie d'un roman, Reine de mémoire, qui en comptera quatre, la très respectée auteure de Tyranaël amorce un nouveau cycle.

Comme c'est souvent le cas pour ses imposantes sagas, tout a commencé par un rêve. Un songe étrange, inhabituel, où apparaissait une gigantesque carte en relief. «L'histoire que je me suis racontée en me réveillant, c'est que, lorsqu'on piquait la carte, on était transporté ailleurs, évoque la rieuse et énergique Élisabeth Vonarburg. J'ai fait ce rêve l'année où ma mère est morte. J'étais en très mauvais état. Je me demandais si j'allais jamais écrire de nouveau, parce que la figure maternelle est un élément central de mon imaginaire. J'ai donc essayé d'élucider ce rêve. C'était quoi, cette carte? La réponse est venue tout droit de mon subconscient. Quelque chose en rapport avec la mère... »

Cette carte magique est trouvée en 1789 par trois jeunes orphelins français. Jiliane et les jumeaux Pierrino et Senso comprennent peu à peu que c'est là la représentation de la colonie asiatique d'où provient leur mystérieuse grand-mère. Un pays dont il est interdit de parler. Parallèlement, le roman raconte, deux siècles plus tôt, comment leur ancêtre Gilles est initié à son Talent, le pouvoir magique octroyé à quelques élus par la Divinité.

La Maison d'oubli étant une uchronie, l'univers que découvrent les lecteurs à travers les petits héros dérive du nôtre. «Ça m'a mise dans une position très difficile: d'une part, j'ai dû faire de la recherche historique, mais aussi inventer un monde différent. Depuis les Grecs et les Latins, j'ai réinventé le monde au complet! Je me suis donné le double de travail... »

Les déguisements du réel

Avec Reine de mémoire, la réputée auteure de science-fiction aborde, avec une certaine angoisse, un genre inédit pour elle: la fantasy pour adultes. Un genre qui «joue encore plus directement dans les mythes et les archétypes. Et il y a un effet de nostalgie. La science-fiction serait la littérature de la connaissance; la fantasy, celle de la reconnaissance, où on reconnaît des motifs, des thèmes éternels».

Pour Élisabeth Vonarburg, cette incursion dans la fantasy représente aussi «un pas de plus vers mon matériau personnel, avec lequel j'ai toujours eu des problèmes. Si j'ai commencé à écrire de la science-fiction à 16 ans, c'est parce que j'avais l'illusion que ça ne parlait pas du tout de moi. Au bout de 10 ans, après avoir écrit des milliers de pages, et pris de la distance en m'établissant au Canada, j'ai fini par comprendre que ça ne parlait que de moi. J'ai toujours utilisé l'écriture pour mieux me comprendre, mieux comprendre ma vie, la vivre mieux, pour apprendre, me consoler ou me défier. C'est devenu ma drogue. Mais je me suis rendu compte que j'ai besoin des déguisements que me permettent la science-fiction et la fantasy. Pas pour me cacher d'autrui, mais pour mieux me voir. À travers le langage des mythes ou des symboles, je me dis un certain nombre de choses que je ne peux pas exprimer aussi efficacement autrement.»

De la même façon que les mondes inventés par les auteurs de l'imaginaire font écho à ici, à «nos problèmes, nos craintes, nos désirs, nos rêves, sous des habillements différents». Reine de mémoire contient donc notre monde post-11 septembre 2001. Le roman était déjà bien amorcé quand les tours jumelles se sont effondrées, et avec elles la capacité d'écriture d'Élisabeth Vonarburg. Une panne qui a duré un an, et donné une grande frousse à l'écrivain. «Je suis une créature de mots, et s'ils me font défaut, je n'ai plus rien. Puis, j'ai décidé que ce n'était pas absurde de continuer à écrire. Ce monde-là ne me plaisait pas, mais je pouvais juste faire ce que je faisais le mieux: écrire.»

Écrire notamment sur les relations avec les cultures étrangères, et sur le problème du mal, qui intéresse toujours Vonarburg. «Ce serait tellement facile si les monstres ressemblaient à des monstres! C'est la banalité du mal qui est effrayante. Et notre capacité d'aveuglement face à notre propre noirceur. Moi, ce qui me terrifie, ce sont les gens bien intentionnés qui pensent qu'ils font le bien, qui sont certains d'avoir raison. George W. Bush n'est pas un monstre. Pourtant, le résultat de ses actions est épouvantable. Il a choisi de ne pas en avoir conscience. Nous pratiquons tous des cécités sélectives.»

La soeur de Jésus

L'auteure de Chroniques du Pays des mères s'y interroge aussi sur la place et l'image de la femme dans les religions de la culture judéo-chrétienne. Cette féministe ne constate guère de progrès. Un statut qui découlerait de la scission entretenue entre le corps et l'esprit dans nos cultures. «Il y a une dignité, un sens du rapport à la nature, à la chair, à la matière qui a été complètement bousillé par la religion judéo-chrétienne, telle qu'appliquée à partir du IVe ou Ve siècle. Cette séparation m'a toujours beaucoup achalée. Il y a une interaction constante entre ce qu'on appelle le corps et ce qu'on appelle l'esprit. Et ça marche dans les deux sens. On a créé quantité de problèmes avec cette dichotomie, dans tous les domaines, la médecine comme les lois sociales.»

Élisabeth Vonarburg a donc voulu imaginer une société où cette rupture n'existerait pas, une religion alternative où les rapports entre le féminin et le masculin seraient à la fois complémentaires et un peu différents des nôtres. Dans la foi géminite, une religion «fortement teintée de taoïsme» qui appelle à la réconciliation des contraires par l'Harmonie, Jésus a ainsi une soeur jumelle nommée Sophia, qui a créé l'Église...

Cette idée, qui la hante depuis 1995, alimentera aussi son prochain livre, qui se déroulera dans le même univers, cette fois du côté des christiens, des fondamentalistes. Mais auparavant, les lecteurs auront pu se mettre sous la dent une ambitieuse saga embrassant magie, spiritualité et histoire sur plus de 2000 pages. La publication de Reine de mémoire s'étalera jusqu'en novembre 2006.

Reine de mémoire

1. La Maison d'oubli

Élisabeth Vonarburg

Éditions Alire

Québec, 2005, 672 pages

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