En France, pas question de réécrire les livres de Roald Dahl

La réécriture effectuée par l’éditeur anglais de Roald Dahl soulève la polémique. Sur la photo, des oeuvres célèbres de l’auteur sont mises en valeur dans une librairie de New York en novembre 2011.
Andrew Burton Archives Associated Press La réécriture effectuée par l’éditeur anglais de Roald Dahl soulève la polémique. Sur la photo, des oeuvres célèbres de l’auteur sont mises en valeur dans une librairie de New York en novembre 2011.

Une réécriture des livres de Roald Dahl, comme celle qui a été entreprise en Grande-Bretagne pour supprimer des termes risquant d’être considérés comme offensants, n’est pas d’actualité en France, selon l’éditeur français de l’auteur jeunesse mondialement connu.

« Cette réécriture ne concerne que la Grande-Bretagne. Nous n’avons jamais modifié les textes de Roald Dahl et, à ce jour, ce n’est pas en projet », a indiqué à l’AFP une porte-parole de Gallimard Jeunesse.

L’affaire avait été révélée vendredi par le quotidien britannique conservateur Daily Telegraph. Les ayants droit ont entrepris de lisser le langage de tous les romans pour enfants de l’auteur adoré de plusieurs générations. Les éditions Puffin (groupe Penguin Random House) publieront désormais un texte différent de l’original. « Lors de nouveaux tirages de livres écrits il y a des années, il n’est pas inhabituel de passer en revue le langage utilisé et de mettre à jour d’autres éléments, comme la couverture et la mise en page », a justifié le porte-parole de la société qui gère l’oeuvre, la Roald Dahl Story Company.

Le nombre de termes modifiés est vaste, touchant à des questions considérées comme délicates : race et ethnicité, genre, poids, apparence physique, santé mentale, violences, etc. Un personnage « énormément gros » est devenu « énorme ». Un « truc fou » est devenu un « truc bizarre ».

« Bienveillante irrévérence »

« C’est de la censure absurde », a écrit l’écrivain Salman Rushdie sur Twitter. « Si Dahl nous offense, ne le réimprimons pas », a lancé un autre auteur jeunesse à succès, Philip Pulmann, interrogé par la BBC. Le premier ministre britannique, Rishi Sunak, estime que les mots doivent être « préservés » plutôt que « retouchés », a indiqué son porte-parole à la presse.

Roald Dahl (1916-1990) a commencé à être traduit en français dans les années 1960. Gallimard a publié James et la grosse pêche en 1966, et Charlie et la chocolaterie en 1967, pour ensuite les rééditer régulièrement. Moins connu du grand public que dans le monde anglophone, il n’en reste pas moins un classique très apprécié en France, avec tous ses titres jeunesse disponibles dans la collection Folio.

« Un roman de Roald Dahl réécrit n’est plus un roman de Roald Dahl », a affirmé la traductrice et chroniqueuse Bérengère Viennot sur le média en ligne Slate. L’hebdomadaire culturel Télérama a pointé du doigt le « risque d’effacer au passage la bienveillante irrévérence » de l’auteur à l’humour décapant.

Culture littéraire

En France, le public porte un jugement très sévère sur les altérations d’oeuvres déjà publiées. Ce fut visible lors de l’abandon de titres de romans contenant le mot « nègre », qui suscita une certaine consternation.

Dix petits nègres d’Agatha Christie en 2020 et Le nègre du Narcisse de Joseph Conrad en 2022 ont subi un sort identique : ces titres de livres britanniques ont été supprimés au profit d’autres, choisis du vivant de leur auteur en vue de la publication aux États-Unis, où le terme était banni pour sa connotation raciste. On trouve aujourd’hui en librairie Ils étaient dix de Christie, et Les enfants de la mer de Conrad.

Aucune maison d’édition française n’a d’ailleurs recours aux services d’un sensitivity reader, un relecteur chargé spécifiquement de détecter les termes ou passages offensants dans les livres à paraître.

La Roald Dahl Story Company appartient aujourd’hui au géant américain Netflix, connu pour sa préférence pour les fictions dites « inclusives ». Mais la directrice de Gallimard Jeunesse, Hedwige Pasquet, a indiqué que tous les éditeurs qui traduisent Roald Dahl auraient la possibilité de maintenir le texte original s’ils préfèrent. « La Roald Dahl Story Company a reconnu avoir travaillé pour le marché anglais. Ils souhaitent respecter la culture [littéraire] de chaque pays », a-t-elle déclaré au quotidien français Le Figaro.

Selon elle, réécrire cet auteur « ferait perdre de sa saveur à ses textes ». « Or, l’esprit de Roald Dahl est un peu ironique, très vif. »

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