Les fleurs de nénuphars

Une triste nouvelle qu’est le décès de Christine Caron, qui, à plusieurs reprises, a tenté d’avoir de l’aide pour sa santé mentale et s’est enlevé la vie en décembre dernier. Christine et moi partagions un même combat, celui d’être diagnostiquée avec un trouble de la personnalité limite (TPL).
Je suis désolée, Christine. Désolée que tes tempêtes n’aient pas été validées par ce médecin qui, comme tu le mentionnes dans ta lettre avant de partir, a dit « si tu avais voulu te suicider, tu l’aurais déjà fait et tu veux juste faire un show pour attirer l’attention », qu’on n’y ait vu que de simples gouttes d’eau dans un verre. Ce gaslighting médical existe malheureusement et il ne nous rend que plus impuissants. Il est navrant de savoir qu’il advient que des personnes avec un TPL ne soient pas prises en charge parce que mal comprises, parce que ce qui ne se voit pas est si difficile à croire.
Je comprends ce désarroi. Pendant 10 ans, j’ai prévenu mon entourage que je devais consulter pour un trouble de personnalité limite. Ce fut bien difficile d’avoir une consultation puisqu’en apparence, je « fonctionnais bien dans ma vie de tous les jours ». Mais des crises ne surviennent pas tous les jours, et quand elles arrivent, nous ne savons jamais si c’est pour la dernière fois. J’ai crié au feu alors que personne ne voyait ni la fumée ni n’en respirait l’âcre parfum, et pourtant. Il a fallu attendre, il y a deux ans, que je fasse une psychose toxique pour entrer par la grande porte des urgences afin qu’on me sauve de moi-même.
À ce moment, je ne savais plus qui était vivant et qui ne l’était pas, j’étais trop grande pour mon corps. J’étouffais. Je voulais m’ouvrir pour pouvoir respirer de nouveau. Je croyais que ma grand-mère était toujours en vie, et que mon oncle qui m’accompagnait aux urgences était mort. C’est grâce à lui si je suis encore ici pour écrire ce billet. J’ai pu consulter un psychiatre au bout d’une longue agonie dans le tourbillon de ma psyché sur une civière. Comme j’étais soulagée que l’on me prenne au sérieux, que l’on m’écoute pour une fois. Mais ce n’est malheureusement pas tout le monde qui a cette chance.
Le TPL nous donne constamment l’impression d’être au bord d’un gouffre. Certaines journées sont plus difficiles que d’autres pour garder l’équilibre. Nous ne sommes cependant pas que notre diagnostic. Nous sommes des personnes totales qui aiment, qui rêvent, qui sont passionnées, qui souhaitent seulement être comprises. Nous sommes dotées de ce superpouvoir nommé hypersensibilité qui, s’il n’est pas encadré, peut vite se retourner contre nous.
Il est temps de réviser nos priorités en tant que société, de donner accès à plus d’informations au personnel médical et surtout, à plus de ressources dans le domaine de la santé mentale. Quand on sait que des personnes qui se présentent en état de crise glisseront des mains du personnel médical à un moment ou à un autre, l’on ne peut qu’éprouver désarroi et consternation.
Christine, ta mort ne sera pas vaine. Ce n’est pas le suicide qui a eu raison de toi. On ne se donne pas la mort. Le suicide est un symptôme de quelque chose de plus grand que nous. C’est notre souffrance qui peut avoir raison de nous. C’est ce système défaillant qui doit cartographier nos luttes convenablement aussi.
Je considère les personnes aux prises avec des enjeux de santé mentale comme des guerriers, mais tout guerrier a besoin de se reposer, et il serait temps que tous, on puisse avoir une main tendue, un coeur qui écoute, avoir accès à un professionnel de la santé qui nous épaule.
Christine, je tiens à exprimer mes condoléances à ta famille et à tes proches. Je regarde ta photo, où tu es toute souriante, toute pleine de lumière. Et je pense à nos sourires qui sont des îles de paix resurgissant entre deux tempêtes. Sourires donnés par miracle ou reçus par la grâce des autres. Nos sourires comme des fleurs de nénuphars qui éclosent malgré les nuits les plus laborieuses.
Besoin d’aide ?
Si vous pensez au suicide ou vous inquiétez pour un proche, des intervenants sont disponibles pour vous aider, partout au Québec, 24/7. Téléphone : 1 866 APPELLE (277-3553) . Texto : 535353 .
Clavardage, informations et outils : www.suicide.ca