«Le royaume désuni»: au coeur de l’Angleterre

Un roman difficile à résumer, mais dans lequel la monarchie et le chocolat au lait « à l’anglaise » servent de liant social, tout cela enrobé de l’humour pince-sans-rire de Jonathan Coe.
Photo: Francesca Mantovani

Un roman difficile à résumer, mais dans lequel la monarchie et le chocolat au lait « à l’anglaise » servent de liant social, tout cela enrobé de l’humour pince-sans-rire de Jonathan Coe.

S’il faut en croire les résultats d’un sondage réalisé en décembre dernier par The Independent, les Britanniques seraient 65 % à vouloir se prononcer sur la réadhésion à l’Union européenne, tandis qu’ils sont 54 % à estimer que « le Brexit était une mauvaise idée ». À quand un retour vers le futur ?

Dans Le coeur de l’Angleterre (Gallimard, 2019), de Jonathan Coe, ce moment politique capital de 2020 servait d’horizon et de toile de fond. Mais pour son quatorzième roman, Le royaume désuni (intitulé plus sobrement Bournville dans sa version originale), le romancier britannique nous offre une fresque familiale aussi vaste que télescopée, dans laquelle l’auteur de Bienvenue au club et de Testament à l’anglaise revisite 75 ans d’histoire du Royaume-Uni à travers sept moments majeurs.

De la fin de la guerre en mai 1945 jusqu’au début de la crise de la COVID, en passant par le couronnement d’Élisabeth II, l’investiture en 1969 du prince de Galles (l’actuel Charles III), le mariage de Charles et Diana en 1981 et les funérailles de Lady Diana en 1997, Jonathan Coe brosse dans ce roman aussi fin qu’ambitieux le portrait d’une famille « ordinaire » de Bournville, près de Birmingham.

Petite ville modèle des Midlands de l’Ouest, créée en plein coeur de l’Angleterre par l’entreprise des chocolats Cadbury pour les travailleurs de son usine, la bien choisie Bournville a ainsi, pour le romancier, on le comprendra, quelque chose d’exemplaire.

C’est pendant les festivités organisées pour souligner la victoire de mai 1945 que la jeune Mary Clarke — personnage qui s’inspire en partie, révèle l’écrivain, de sa propre mère — va rencontrer celui qui va devenir son mari. À partir de ce moment, au moyen de nombreuses ellipses et de toute une galerie de personnages, le roman va débouler.

Et en quelques centaines de pages où vont poindre, mine de rien, l’émergence de la classe moyenne, le caractère de plus en plus multiculturel de la Grande-Bretagne — une réalité subtile qui ne s’exprime pas toujours sans tensions dans le roman — ou la montée du nationalisme gallois, Coe, à sa façon, mêle habilement la petite histoire avec la grande.

Au début des années 1990, l’un des trois fils de Mary, Martin, sera lobbyiste à Bruxelles auprès de l’Union européenne pour le compte de Cadbury. Une « guerre du chocolat » faisait rage depuis 20 ans, un conflit gastronomique qui cristallise en quelque sorte l’antagonisme entre Français et Anglais.

Car depuis la Seconde Guerre mondiale, Cadbury diluait le cacao présent dans son chocolat avec une petite quantité de matières grasses végétales : un compromis inacceptable aux yeux de plusieurs pays membres de l’UE, « qui n’était rien d’autre qu’une entreprise de racketfomentée par des bureaucrates pour se donner du pouvoir ».

Un roman difficile à résumer, mais dans lequel la monarchie et le chocolat au lait « à l’anglaise » servent de liant social, tout cela enrobé de l’humour pince-sans-rire de Jonathan Coe. Comme dans cette scène hilarante où, tandis que Tony Blair livre à la télévision son discours pendant les funérailles de Lady Di, un personnage vivra sa première expérience homosexuelle. Joyeusement subversif et plein d’humanité.

Le royaume désuni

★★★ 1/2

Jonathan Coe, traduit de l’anglais par Marguerite Capelle, Gallimard, Paris, 2022, 494 pages

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