Notre sélection poésie de janvier

Photo: Pedro Ruiz Archives Le Devoir

Les secrets intérieurs

Martine Audet nous propose son recueil le plus accessible. S’y offre le frôlement de ce qui frissonne à fleur de peau. « Je sais que le coeur a la taille d’un poing, / mais qu’empoigne-t-il du monde / qui ne soit pas la pluie, / pas la croix des pluies, / ni sa blessure / qui étincelle ? » C’est toujours d’une grande beauté formelle et évocatrice. Jamais Audet n’aura-t-elle mieux atteint cette fragilité émotive, car, ici, « au plus près de la nuit, / la nuit est déposée », « c’est ainsi que les peines / ont d’autres yeux / de peine ». Tremble alors la gravité des sentiments avouée sans détour : « […] j’entends à chaque mort : sois complice ! » et d’ajouter : « D’ailleurs, / je suis tout habillée / de noms. » Il faut souligner la justesse de la dernière partie, offerte à Louise Lecavalier, autour de la danse. La grande réussite de ces poèmes tient à leur mouvement, parfaitement adéquat, où les mots dansent : « demi-pointes / avec du noir filtré / elle / il / et/ou / pas il / lorsque / le pas / la multiplie. »

Hugues Corriveau

 

Des formes utiles
★★★★
Martine Audet, Le Noroît, Montréal, 2023, 96 pages

 

 

Savoir vivre

En écoutant Leonard Cohen, voilà bien comment cette Personne seulement se dévoile. Comme s’il fallait entendre les modulations graves de la voix de « l’ange de Montréal » afin que puissent s’attendre les « lettres de rêves / en attente de leur phrase ». La nature, qu’elle soit forestière ou urbaine, emporte Laure Morali, la calme (mot secret de ce recueil) et l’amène à la contemplation. « Ouvrons les yeux comme l’arbre / nous avons des racines au ciel » dit-elle, « ce serait un matin comme les autres / avec ses deuils et ses défaites / si une feuille ne s’arrachait / de sa branche à l’instant / où le souffle / le décide ». C’est ainsi, dans la confidence des éléments que s’éploie la tendresse, « myriade de signes / sur les couloirs / de l’écriture ». Ce recueil est beau de cette beauté qui nous fait méditer sur la précarité des choses comme du temps. Il y a là, dans ces vers libres maîtrisés, une force d’évocation qui fait en sorte que, comme le suggère le dernier poème, il n’y ait plus « personne / seulement / le coeur ».

Hugues Corriveau

 

Personne seulement
★★★★
Laure Morali, Mémoire d'encrier, Montréal, 2023, 128 pages

 

 

Le cri fantôme d’un canari

« Depuis longtemps déjà / j’ensevelis les deuils au fond de mes viscères », annonce d’entrée de jeu Sebastián Ibarra Gutiérrez dans son recueil À terre ouverte. Puisant une rage et une détresse enfouies dans les sédiments de la terre, le poète d’origine chilienne — aussi ingénieur minier — prend acte d’une violence inouïe, et pourtant répétée, notamment dans les mines d’Amérique latine : « dans un cercueil d’étain / huit millions de silences esclaves et pleins de fierté / du sang minéral qui ne suffit pas / des sanglots que le roc ne saurait dire. »Divisé en deux parties, le recueil est d’abord affligé, consacré aux victimes, avant d’armer un cri véhément à l’endroit des bourreaux. Tressés dans une langue aussi érudite que sensible, les vers cherchent parfois à trop en faire, mais font néanmoins trembler la terre, témoignant d’une violence trop longtemps tue : « il n’y a pas eu de témoins / rien que les décombres incertains de vos existences / et seul le linceul du temps vous attend ».

Yannick Marcoux

 

À terre ouverte
★★★
Sebastián Ibarra Gutiérrez, Hamac «Poésie», Montréal, 2023, 88 pages

 

 

Des vers et de l’humus

Le terreau littéraire québécois est toujours aussi fertile et une nouvellemaison vient de s’enraciner dans le paysage. Les éditions Conifère publient ce mois-ci leurs premiers titres. Aux côtés d’Andrée-Anne Bergeron et de son Des entrailles naturelles, Vicky Bernard signe un premier recueil : Ce qu’il est advenu de ma mort. Elle nous prévient : « ce texte ne parle pas / de moi ». Plutôt de ces états que la vie habite, de ses deuils et de ses écueils, célébrant ce qui demeure, dans les multiples changements que l’on traverse : « ce qui ne brûle pas prend racine ». Déambulation existentielle moulée de multiples émotions, la poétesse nous invite dans un va-et-vient où finitude et renouveau s’emboîtent : « j’apprendrai à marcher sur les ruines / je reviendrai ». Le recueil, éparpillé par moments, pourrait faire l’impasse de quelques vers plus convenus, notamment pour faire briller ces perles qui, dans la houle des mots, nous ancrent : « les traces laissées / ne nous résumeront / jamais ».

Yannick Marcoux

 

Ce qu'il est advenu de ma mort
★★★
Vicky Bernard, Conifère, Québec, 2023, 108 pages

 

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