Les 15 livres québécois de 2022

Dominique Fortier, autrice du livre «Les ombres blanches»
Photo: Adil Boukind Le Devoir Dominique Fortier, autrice du livre «Les ombres blanches»

Nos critiques vous offrent la liste de leurs incontournables. Un survol d'Hugues Corriveau, Manon Dumais, Marie Fradette, Anne-Frédérique Hébert-Dolbec, François Lemay, Yannick Marcoux, Louise-Maude Rioux Soucy et Sonia Sarfati.

 

Que notre joie demeure de Kevin Lambert (Héliotrope)

Photo: Héliotrope

L’auteur de Querelle de Roberval s’invite chez les ultrariches avec ce roman génial au centre duquel brille une architecte montréalaise de réputation internationale, Céline Wachowski. Autour d’elle s’agite une faune fascinante, de gauche comme de droite, qui en dit long sur l’époque, ses luttes et ses crispations. Très achevé, l’édifice littéraire dessiné par Kevin Lambert est intellectuellement brillant, nous forçant à réfléchir aux privilèges des uns et aux combats des autres.

Louise-Maude Rioux Soucy

 


Les marins ne savent pas nager de Dominique Scali (La Peuplade)

 

Photo: La Peuplade

Avec cette utopie maritime aux contours de roman d’aventures, Dominique Scali nous transporte sur l’île d’Ys, chef-lieu d’un peuple obsédé par l’honneur et le courage. Pétrie de contradictions, humaine jusqu’à la moelle, son héroïne, Danaé Berrubé-Portanguen, dite Poussin, est à l’avenant. Soumise aux vents d’un XVIIIe siècle alternatif, cette fable irrésistible tangue et roule tantôt vers la justice, tantôt vers l’injustice, sans jamais perdre le nord. Un tour de force narratif.

Louise-Maude Rioux Soucy

 
La jeune fille à la tresse de Françoise de Luca (Marchand de feuilles)

 

Photo: Marchand de feuilles

Inspiré d’une histoire vraie, ce roman relate la grande amitié entre une Française issue d’un milieu peu stimulant et une juive polonaise qui la met en contact avec sa famille aimante et cultivée. Lorsque la guerre éclate, l’une s’engage dans la Résistance par une voie méconnue : la mode. L’autrice esquisse des personnages authentiques et irrésistibles, féministes de la première heure, desquels on ne peut détacher les yeux. Une ode au pouvoir de la sororité et à la beauté d’un souvenir douloureux.

Anne-Frédérique Hébert-Dolbec

 
Les ombres blanches de Dominique Fortier (Alto)

Photo: Alto

Suite improbable des Villes de papier (2018), Les ombres blanches invoque le souvenir d’Emily Dickinson et le vide laissé par la poète après sa mort. La famille fouille les écrits de la disparue comme une façon d’échapper à l’absence. Ainsi, dans cette prose délicate, profonde et lumineuse, Dominique Fortier explore la fragilité, l’évanescence des éléments, la fugacité du temps. Par la littérature, elle parvient à remédier d’une certaine façon à la mort et assure la possible pérennité des choses.

Marie Fradette

 
Gens du Nord de Perrine Leblanc (Gallimard)

Photo: Gallimard

Au sommet de son art, Perrine Leblanc a fait un remarquable travail de terrain pour ce troisième roman sublimé par la fécondité culturelle et narrative du territoire. Avec en trame de fond le conflit en Irlande du Nord, elle brode un récit d’espionnage passionnant, une histoire d’amour d’une vérité poignante, sur l’échiquier de la guerre. Sa plume, précise, sobre, érudite, trouve dans les cicatrices de l’histoire le souffle d’une fiction intime et grandiose dont elle embrasse à bras-le-corps la complexité.

Anne-Frédérique Hébert-Dolbec

 
Mélasse de fantaisie de Francis Ouellette (La Mèche)

Photo: La Mèche

Dans cette fresque vibrante et passionnante, peuplée de personnages faits de la matière des légendes, Francis Ouellette arpente les recoins de sa mémoire pour faire revivre le Faubourg à m’lasse, ce quartier ouvrier de Montréal aujourd’hui disparu. Dans une langue métissée et truculente, le romancier raconte les négligences, les violences et les injustices d’une enfance pourtant bercée par la magie et la tendresse de l’imaginaire. Un conte profondément lucide, puissant comme l’étincelle d’une révolte.

Anne-Frédérique Hébert-Dolbec

 
Jardin radio de Charlotte Biron (Le Quartanier « Série QR »)

Photo: Le Quartanier

Jardin radio, c’est l’histoire d’une voix menacée d’extinction à cause d’une tumeur à la mâchoire où Charlotte Biron décrit la douleur, la peur, l’isolement vécus au quotidien avec justesse et lucidité : « Je voudrais un texte qui ne dise rien d’intelligent, qui témoigne d’une expérience à côté du monde, violente, ennuyante, invisible. » Sensible aux sonorités, elle révèle par sa plume d’une précision chirurgicale l’importance du choix des mots dans ce récit fragmenté à la fin duquel triomphe sa voix.

Manon Dumais

 
Confessions d’une femme normale d’Éloïse Marseille (Pow Pow)

Photo: Pow Pow

Nous avions été agréablement surpris par la maturité qui se dégageait de ce premier album de la jeune autrice Éloïse Marseille sorti au printemps dernier. Une récente relecture nous a confirmé cette impression. Cette prise de parole lucide sur l’acceptation de sa sexualité et de son corps, sur cette tentative introspective de se comprendre soi-même, faite avec humour et autodérision, demeure frappante et totalement divertissante, et devrait être mise entre les mains de toutes et de tous.

François Lemay

 
Quand viendra l’aube de Dominique Fortier (Alto)

Photo: Alto

Dominique Fortier se livre à une réflexion émouvante et nuancée sur le deuil, la création et le pouvoir de la nature sur l’artiste. Faisant appel aux voix d’Emily Dickinson, de William Faulkner et de Pierre Ronsard, l’oeuvre évoque celles de Virginia Woolf et d’Emily Brontë tant l’écho des vagues, le mugissement du vent et les nuits d’orage s’y font obsédants et enveloppants. Objet de beauté d’une écriture raffinée, Quand viendra l’aube s’avère un délicat complément aux Ombres blanches (Alto, 2022).

Manon Dumais

 
L’ongle le vernis de Nicole Brossard et Symon Henry (Le Noroît)

Photo: Le Noroît

Nicole Brossard vient de recevoir le prix Corbeil doté d’une bourse de 100 000 $. Récompense méritée, d’autant qu’elle nous a offert ce très beau recueil. « L’énigme du poème / une forme aboutie d’étreinte », nous confie-t-elle. Les partitions chromatiques de Symon Henry accompagnent la vibration propre aux poèmes. Ce recueil ne fait qu’accentuer la pertinence stimulante de Nicole Brossard qui poursuit, dans la modernité de sa langue, les traces sous-jacentes de notre essentielle présence au monde.

Hugues Corriveau

 
À la maison de Myriam Vincent (Poètes de brousse)

Illustration: Poètes de brousse

Jessica, une jeune femme enceinte, vient d’emménager, avec son amoureux, dans une maison récemment acquise. Aux portes d’un bonheur attendu, tout s’apprête cependant à dérailler. Recluse dans cette maison isolée, son bien-être relégué au second plan par celui de son foetus, elle livre un combat contre les diktats de la maternité. Avec ce second roman subversif et original, maintenu sur le fil d’une tension dévorante, Myriam Vincent aménage, avec un rare doigté, une société encore à naître.

Yannick Marcoux

 
Les pénitences d’Alex Viens (Le Cheval d’août)

Illustration: Le Cheval d’août

Une jeune femme rend visite à son père, punk violent avec qui elle a coupé les ponts depuis 10 ans, pour lui remettre une boîte mystérieuse. S’ensuit entre ces deux écorchés vifs un dialogue d’un réalisme criant et d’une cruauté saisissante au cours duquel ils ressassent de douloureux souvenirs de famille, jusqu’à ce que le souper, lourdement arrosé, bascule dans l’horreur. Avec ce premier roman, huis clos anxiogène qui prend aux tripes, Alex Viens fait une entrée percutante sur la scène littéraire.

Manon Dumais

 
Proies d’Andrée A. Michaud (Québec Amérique)

Illustration: Québec Amérique

Les récits d’apprentissage sont souvent placés sous d’heureux auspices. Des épreuves, oui. Mais à l’arrivée, la lumière. Andrée A. Michaud ne joue pas dans ces eaux-là. Donc, les trois protagonistes de Proies non plus. Trois amis, trois ados, un week-end de fin d’été et de liberté en pleine nature. Dans l’ombre, un homme. Un huis clos à ciel ouvert, un drame puissant dont le rythme se prélasse ou accélère au besoin. De l’émotion à fleur de mots. Et partout la beauté d’une noirceur certaine.

Sonia Sarfati

 
Il était une fois un mot de Nicolas Lauzon et Marijo Denis (Éditions du Passage)

Illustration: Éditions du Passage

Pour Nicolas Lauzon et Marijo Denis, poète et linguiste à l’origine de la création d’Il était une fois un mot, les mots sont des travailleurs infatigables de l’ombre, et l’évolution de leur signification, au fil du temps, crée autant de captivantes histoires. Ce livre nous propose le récit de vingt-cinq mots, dévoilés dans la liberté du poème, puis mis en lumière par une explication linguistique. Portée par une langue imagée et un ton résolument ludique, la proposition est pédagogique et fascinante.

Yannick Marcoux

 
Le cinéma au Québec. Ce que nos films disent de nous de Michel Coulombe (Guy Saint-Jean éditeur)

Illustration: Guy Saint-Jean éditeur

Pour cet accessible, admirable et abondamment illustré panorama de notre cinéma, l’auteur du Dictionnaire du cinéma québécois et critique émérite de Radio-Canada a revu près de 600 films d’ici, de 1943 à 2022, afin de révéler ce qu’ils racontent sur nous. De navets en chefs-d’oeuvre, de blockbusters en films d’auteur, le chroniqueur a répertorié plus d’une centaine de thèmes récurrents, des plus légers aux plus sérieux sujets de société, pour le plus grand bonheur des cinéphiles. Merci, Michel Coulombe.

Manon Dumais

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