«Un chant de Noël», un conte pour les nostalgiques

Campé dans le Londres de l’époque victorienne, Un chant de Noël raconte l’histoire d’un vieil avare grincheux et solitaire, Ebenezer Scrooge, visité successivement, la nuit de Noël, par trois fantômes : celui des Noëls passés, celui des Noëls présents et celui des Noëls à venir.
Photo: Getty Images/iStockphoto Campé dans le Londres de l’époque victorienne, Un chant de Noël raconte l’histoire d’un vieil avare grincheux et solitaire, Ebenezer Scrooge, visité successivement, la nuit de Noël, par trois fantômes : celui des Noëls passés, celui des Noëls présents et celui des Noëls à venir.

Pour célébrer le temps des Fêtes en littérature, Le Devoir replonge dans les contes et légendes qui bercent notre imaginaire collectif depuis le XIXe siècle. Premier texte d’une série de trois.

Une petite recherche sur le Web suffit pour constater que l’on attribue de nombreuses traditions et valeurs associées à Noël en Amérique du Nord à Charles Dickens et à son illustre conte A Christmas Carol (Un chant de Noël), publié pour la première fois en 1843. C’est à l’écrivain britannique que l’on devrait l’adoption dans l’usagede l’expression « Joyeux Noël ». À lui également que l’on associe la consolidation de l’esprit de Noël, de la générosité, de l’harmonie familiale et de la fraternité qu’il sous-tend.

Tout cela est bien entendu un peu exagéré. S’il n’a pas réellement inventé les réunions de famille, les échanges de cadeaux et la générosité envers les plus démunis, Charles Dickens a tout de même réussi à capter et à cristalliser les changements qui s’opéraient en Angleterre lors de la Révolution industrielle et l’intérêt renouvelé d’une bourgeoisie naissante envers les célébrations de Noël.

Campé dans le Londres de l’époque victorienne, Un chant de Noël raconte l’histoire d’un vieil avare grincheux et solitaire, Ebenezer Scrooge, visité successivement, la nuit de Noël, par trois fantômes : celui des Noëls passés, celui des Noëls présents et celui des Noëls à venir. En lui montrant les perspectives de bonheur qui lui échappent, ainsi que ce qui l’attend s’il se refuse à l’amour et à la charité, les trois esprits opèrent un changement chez le vieillard, qui choisit dès lors de se convertir à l’esprit de Noël.

Un succès qui ne se dément pas

Dès sa parution, le conte obtient un succès phénoménal. En quelques mois, plus de 15 000 exemplaires trouvent preneurs, un nombre extraordinaire pour l’époque. « Dickens en faisait des lectures publiques, raconte la sociologue Martyne Perrot, autrice de Le cadeau de Noël. Histoire d’une invention (Autrement, 2013). À Londres, à Cambridge, à Boston et à Paris, des foules immenses se pressaient, faisaient la file dans le froid et la neige pour écouter son histoire. Les gens étaient émus aux larmes. Le biographe de l’écrivain raconte que l’un des grands industriels de l’époque a été tellement touché qu’il a donné un jour de congé à tous ses ouvriers. »

Pendant plus d’un siècle, Un chant de Noël a captivé les publics anglais, français et nord-américain, se glissant, à l’instar de la Bible, dans toutes les bibliothèques aux États-Unis. « Il est devenu partie prenante des festivités. Plusieurs familles racontent toujours cette histoire aux enfants la veille de Noël. Le président [Franklin Delano] Roosevelt en faisait un véritable rituel », ajoute-t-elle.

Critique sociale

Ironiquement, raviver le romantisme autour de la fête de Noël ne faisait pas partie des objectifs de Charles Dickens. C’est la publication d’un rapport sur les conditions déplorables de travail des enfants dans les manufactures — rapport qui a également fait réagir Karl Marx et Friedrich Engels — qui constitue l’étincelle derrière le personnage de Scrooge.

« Grand défenseur de l’éducation comme moyen de lutter contre la pauvreté, Dickens souhaite d’abord et avant tout faire une critique sociale, souligne l’historienne Evelyne Ferron. Il essaie d’éveiller les consciences, en pointant du doigt les industriels, qui traitent leurs employés comme des objets. Noël, une fête religieuse associée à la charité et à la générosité, devient pour lui un prétexte émotif, un contexte propice pour toucher une corde sensible. Il dit : “C’est bien mignon vos traditions, mais pendant que vous gâtez vos enfants, ceux des autres ont froid et meurent.” »

Cristalliser son époque

En mettant en scène certaines traditions en essor dans l’Angleterre victorienne, Dickens contribue malgré lui à cristalliser les valeurs véhiculées par la bourgeoisie de l’époque, renforçant la sécularisation de la fête de Noël.

On y voit ainsi l’un des premiers sapins de Noël de la littérature anglaise — popularisé au pays par la reine Victoria et son époux, le prince Albert, qui a importé l’idée de son Allemagne natale. Y sont aussi évoqués la dinde et l’oie partagées en famille, et l’échange de cadeaux destinés aux tout-petits.

« Le succès de son conte va de pair avec le déplacement de la vie publique vers le foyer, la domesticité et la famille, indique Kim Gladu, professeure associée au Département des lettres et humanités de l’Université du Québec à Rimouski. Il reflète aussi l’importance nouvelle accordée aux enfants, qui sont depuis peu au coeur des festivités, notamment parce que leur statut change au sein de la société. On voit apparaître les premières études sur le développement des enfants, et on les considère comme des êtres qui ont des droits et qui ont besoin de certaines conditions pour s’épanouir. »

L’esprit de Noël comme mis en scène par Dickens — qui prend notamment racine dans le christianisme — a également perduré jusqu’à nous. « Même si le temps des Fêtes est aujourd’hui davantage associé aux excès et au consumérisme, la générosité et la fraternité sont encore mises en avant. Les organismes d’aide récoltent beaucoup plus de dons en décembre, et les initiatives se multiplient », précise Martyne Perrot.

Perte de sens

Bien que Noël ait beaucoup changé, et revête aujourd’hui davantage les habits d’une fête commerciale, l’intérêt envers Un chant de Noël ne montre aucun signe d’essoufflement, en attestent ses multiples adaptations scéniques, télévisuelles et cinématographiques, ainsi que les bandes dessinées, ballets, opéras et jeux vidéo qui en ont été tirés.

« Je pense que cet enthousiasme témoigne d’une nostalgie de l’enfance, mais aussi de la simplicité et de la féerie d’un Noël qui a perdu beaucoup de son sens. Même si on se plaint de la corvée de cadeaux, on se fait un point d’honneur de se réunir en famille, de passer du temps ensemble. Le conte de Dickens représente encore l’espoir, la compassion et la magie que l’on cherche à recréer durant cette période de l’année », conclut la sociologue.

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