«Blanc»: le territoire de la liberté

L'écrivain Sylvain Tesson
Photo: Francesca Mantovani Éditions Gallimard L'écrivain Sylvain Tesson

Dans La panthère des neiges (Gallimard, prix Renaudot 2019), récit d’un voyage fait en compagnie du photographe animalier Vincent Munier sur les hauts plateaux du Tibet, Sylvain Tesson avait découvert les vertus du silence et de la discrétion.

Là-bas, à 5000 mètres d’altitude, à l’affût parmi les yacks et les enfants rieurs, au milieu d’une « éternité gelée », le photographe lui avait appris à regarder. « Attendre était une prière. Quelque chose venait. Et si rien ne venait, c’était que nous n’avions pas su regarder », écrivait-il.

Après Sur les chemins noirs (Gallimard, 2016), longue diagonale faite un peu à cloche-pied à travers la France, Sylvain Tesson s’évade cette fois dans le « Blanc », avec sa majuscule et ses contours flous. Le projet est de s’oublier sous l’effort, de se fondre dans le paysage et de disparaître à travers ce que l’écrivain voyageur français né en 1972 n’hésite pas à appeler la « couleur substantifique ».

De 2018 à 2021, Tesson a fait une traversée des Alpes à ski, de Menton jusqu’à Trieste, en passant par l’Italie, la Suisse, l’Autriche et la Slovénie. Sur quatre hivers, en équipe de deux ou trois, parfois quatre, et à raison de trois à six semaines de randonnée chaque année, il a fait « l’école buissonnière géante » avec son ami Daniel du Lac, un guide de haute montagne qui a « l’amitié intarissable et le dos solide ».

Plus que de parcourir un massif, raconte-t-il dans Blanc, le beau récit qu’il a tiré de cette aventure, l’idée était de « se fondre dans une substance ». « La moindre course dans la montagne dissout le temps, dilate l’espace, refoule l’esprit au fond de soi. Dans la neige, l’éclat abolit la conscience. Avancer importe seul. L’effort efface tout — souvenirs et regrets, désirs et remords. »

Au coeur de ce réservoir hypnotique, il n’aura aucune peine à trouver ce qu’il était venu y chercher. « Je voulais devenir ce personnage : une présence sans valeur dans un monde sans contours. » Le contraste paraît donc absolu avec notre rapport moderne à l’espace, ultrarapide, utilitaire.

D’un refuge à l’autre, qu’ils soient gardés ou pas, chauffés ou non, à travers les cols, les couloirs et les vallées, avançant pas à pas dans le « territoire de la liberté » alors que percent les échos parfois lointains d’une pandémie mondiale et de confinement sanitaire, l’écrivain nous convie à une sorte de dissolution dans le blanc et dans l’effort. « Où va le blanc quand la neige a fondu ? » aurait écrit Shakespeare, que ne manque surtout pas de citer Sylvain Tesson. Peu lui importe, au fond, puisque le « Blanc unifiait le monde, anesthésiait l’angoisse, augmentait l’espace, évanouissait les heures. »

Il nous raconte tout cela, à la poursuite de l’horizon, avec son formidable sens de la formule et son humour inimitable, tantôt potache, tantôt spirituel. Au col du Grand-Saint-Bernard, avec une pensée pour l’armée de Napoléon qui l’avait franchi en 1800 avant de vaincre les Autrichiens à Marengo, de même qu’aux empires qui se font et qui se défont, aux sommets et aux routes qui sont toujours là, Tesson prend encore de la hauteur : « L’Histoire est ce qui passe au milieu de ce qui demeure. »

« La moindre course dans la montagne dissout le temps, dilate l’espace, refoule l’esprit au fond de soi. Dans la neige, l’éclat abolit la conscience. Avancer importe seul. L’effort efface tout — souvenirs et regrets, désirs et remords. »

Blanc

Sylvain Tesson, Gallimard, Paris, 2022, 240 pages

À voir en vidéo