«Créole Blues»: les voix de la diaspora haïtienne

À coups de témoignages variés et d’entretiens fouillés, l’écrivain québécois Jean-Marc Beausoleil raconte Haïti à travers les destins de femmes et d’hommes issus de sa diaspora. En résulte un essai à mi-chemin entre le journalisme littéraire et la non-fiction, dont l’auteur est un pionnier au Québec. Ainsi, même si certains prénoms ont changé, tous les récits contenus dans ce livre sont vrais, précise-t-il dans son préambule, la plupart des textes ayant été rédigés en 2020 durant les confinements de la pandémie.
L’auteur de Pornodyssée : une saison dans l’industrie pornographique… et de La marque de Zïlon (Somme toute, 2020 et 2022) signe de courts portraits de personnalités au caractère bien trempé originaires des quatre coins de la Perle des Antilles. Sa plume esquisse à travers des rencontres et des confidences les récits parfois chaotiques, et souvent résilients, d’exilés de toutes conditions et de toutes générations, aujourd’hui infirmières, anciens policiers, artistes ou boxeurs à la retraite. La boxe est d’ailleurs l’occasion pour l’auteur de revenir sur les carrières d’un certain nombre de Québécois d’origine haïtienne qui ont brillé sur les rings pour sortir de la pauvreté, notamment Schiller Hyppolite, dont l’écrivain signe un texte poignant.
Des anonymes côtoient ainsi des figures connues du Québec, comme Frantz Voltaire, Rodney Saint-Éloi ou Stanley Péan. Toutes et tous narrent à leur manière une vision de leur terre d’origine, tantôt cruelle, tantôt lumineuse. L’essai choral enveloppé d’une écriture à la fois poétique et précise met en lumière les contradictions d’un pays bourré de forces vives et de complexités. Plusieurs chapitres touchent en plein coeur, comme le quotidien montréalais de Catalina, interprète créole-français auprès des services sociaux et des services correctionnels. Celle qui doit parfois traduire les mots de la misère ou du viol tente un jour de faire sortir la parole douloureuse, mais nécessaire, notamment d’une mère et de son enfant silencieux ayant fui leur île natale pour venir au Québec en passant par le Brésil, une saga hantée par l’abandon et la mort.
Avec les voix de l’exode relatant les blessures du passé et l’espoir d’une vie meilleure, l’essai rend également un hommage attachant à Haïti, dont « la majorité du peuple vit dans le réalisme magique », écrit l’auteur. Son entretien avec Rodney Saint-Éloi, poète et fondateur de la maison d’édition Mémoire d’encrier, est à ce titre assez éloquent. Quand l’éditeur se demande pourquoi Haïti, qui donne des fleurons dans une flopée de secteurs, « n’arrive pas à se construire collectivement », Jean-Marc Beausoleil cite La tragédie du roi Christophe, d’Aimé Césaire, qui illustre un dilemme universel présenté comme un noeud de paradoxe qui fonctionne entre utopie et dystopie. « Il y a le carnaval et après. Le soleil et la mer cachent une grande misère, une grande douleur. »