Notre sélection de polars du mois de novembre

Des femmes et des monstres
On connaît Geneviève Blouin pour ses nouvelles. Pour la formidable incursion dans le Japon médiéval qu’est sa trilogie Hanaken. Pour son blogue La plume et le poing, qui « fesse » quand et où il faut. Le mouroir des anges donne l’occasion de découvrir une autre facette du talent de celle qui est aussi codirectrice de la collection VLB Imaginaire. Ce polar, son premier, suit le travail de l’enquêtrice Miuri Mishima-Sauvé et de son collègue Jacques Delondes. Ils traquent un criminel qui avorte de force, chez elles, des femmes qui, quelques jours plus tard, avaient rendez-vous pour subir, en clinique, une interruption volontaire de grossesse. Perplexité des policiers quant aux motivations de ce « faiseur d’anges » qui signe ses crimes d’un ange de plâtre, une aile brisée. Si l’enquête est menée de façon classique, le coeur du roman palpite dans les considérations éthiques, légales et sociales exposées ici. Le mouroir des anges se fait alors fascinant. Troublant. Et d’actualité.
Sonia Sarfati
Le mouroir des anges
★★★
Geneviève Blouin, Alire, Lévis,2022, 258 pages
Le passé revient
Dans Dossiers non résolus, 21e enquête que lui a confiée Kathy Reichs, l’anthropologue judiciaire Tempe Brennan a l’impression de porter une cible dans le dos. Tout commence par un oeil. Humain. Déposé chez elle. Elle ne comprend pas. Normal : il n’y a rien à comprendre. Pour l’instant. Puis, peu à peu, la lumière se fait dans son esprit cartésien : ces crimes commis près de chez elle sont autant de copiés-collés de cas dont elle s’est occupée en cours de carrière. Serait-elle, involontairement, à l’origine de ces nouveaux drames ? Et ce n’est pas tout. Kathy, sa fille, qui a quitté l’armée et souffre de syndrome posttraumatique, disparaît. Ce ne peut être une coïncidence. Et, en effet, ce ne l’est pas. Dossiers non résolus se tourne vers le passé de Tempe. Kathy Reichs donne ainsi l’impression d’en avoir conçu l’intrigue comme un cadeau à ses adeptes de la première heure. Résultat : un polar qui, malgré une résolution moins forte que ce qui la précède, est parmi les plus réussis de la série.
Sonia Sarfati
Dossiers non résolus
★★★
Kathy Reichs, traduit de l’anglais par Dominique Haas et Stéphanie Leigniel, Robert Laffont, Paris, 2022, 358 pages
Une tristesse infinie
On verra ici à l’oeuvre un tueur en série hors du commun qui a dirigé un pays-continent grâce à l’exécution systématique et à la pratique de la « terreur ordinaire » : le seul et unique Staline, on l’aura peut-être reconnu. Dans cette hallucinante histoire — amorcée avec L’oiseau bleu d’Erzeroum, chez le même éditeur —, Ian Manook nous raconte en filigrane la terrible histoire du peuple arménien à travers l’odyssée des « 47 » (pour 1947). C’est à ce moment que, par bateaux entiers, les Arméniens réfugiés en France et un peu partout dans le monde ont cru à l’appel du dictateur soviétique les invitant à « venir participer à la construction d’une Arménie nouvelle ». Ils n’ont rencontré là, on le sait de diverses sources, que trahison, torture et exploitation ; seuls quelques-uns sont parvenus à échapper à cet enfer au prix de sacrifices inimaginables. Les accents concentrationnaires de cette sanglante histoire qui tient autant de la saga que du polar rappellent les plus sombres pages de la « trilogie stalinienne » du Britannique Tom Rob Smith. Tout cela est d’une tristesse infinie.
Michel Bélair
Le chant d’Haïganouch
★★★1/2
Ian Manook, Albin Michel, Paris, 2022, 380 pages
Enquête en direct
Les vacances d’été s’amorcent à peine que l’on retrouve le corps d’un hommedans le box d’une écurie de la Rive-Sud montréalaise. Chargé de l’enquête,le lieutenant Antoine Déry, de la Sûreté du Québec, comprend, dès qu’il voit le corps, que Pascal Gauthier a été assassiné. Déry ne pourra compter que sur sa seule collègue Emma Teasdale pour tirer l’affaire au clair puisque les effectifs sont réduits en cette période de l’année. Heureusement, Emma est efficace, et Déry, malgré ses airs de macho maladroit, est doté d’une intuition sidérante. Les policiers ne mettront en fait que deux jours pour comprendre ce qui s’est passé et pour trouver le coupable. L’affaire est complexe, mais menée rondement, intelligemment, et fera d’abord apparaître une galerie de personnages fort réussis : des femmes pour la plupart, fortes et déterminées malgré les circonstances. On notera aussi, tout au long, la puissance bienveillante des chevaux bien rendue par une écriture déliée, capable de surprises et d’invention. Une vraie enquête en direct fort bien menée.
Michel Bélair
Le dernier manège
★★★
Guillaume Morrissette,Saint-Jean Éditeur, Laval, 2022,412 pages