Caroline St-Hilaire écrit la biographie de Shirley Théroux, «Née pour chanter»

Gabriel Théroux, papa de Shirley, buvait beaucoup, jouait aux cartes encore plus et trompait sa femme à qui mieux mieux. Un homme bien de son temps, quoi, celui des années d’après-guerre au Québec.
« Il avait beau avoir des maîtresses et perdre de l’argent au jeu, je le trouvais toujours beau et parfait ! » écrit l’artiste Shirley Théroux dans sa biographie, Née pour chanter (Libre Expression), lancée mercredi soir à Montréal.
« Ça fait des années qu’on m’achale pour que j’écrive ce livre, a ajouté Mme Théroux en entrevue la semaine dernière, attablée dans un café de Saint-Lambert, où elle habite depuis des décennies. « J’ai voulu raconter ma vie au public qui me suit depuis 60 ans, mais ne me connaît pas, au fond. On m’a toujours perçue comme une fille parfaite, avec un parcours presque parfait. La perfection, ça n’existe pas. »
La fille de Gabriel, bourré de défauts et de qualités, n’a gardé aucune rancoeur contre son papa. Elle a continué de l’adorer même quand son gambling lui a fait perdre d’un coup son entreprise du Plateau-Mont-Royal et sa maison de campagne de Repentigny, forçant sa famille de cinq enfants à s’installer dans un taudis mal chauffé, sans électricité où il fallait manger « des beans et du balloney ».
« Il nous a tout simplement ruinés, résume Mme Théroux. Quand je dis tout, c’est absolument tout. »
Avant la chute, un beau jour, Théroux père et sa jeune fille prénommée de manière prémonitoire en l’honneur de Shirley Temple, se sont arrêtés au cabaret La ceinture fléchée, rue Sainte-Catherine. Le paternel s’est installé au bar après avoir caché la petite dans la cuisine.
« Je chantais pour des fourchettes, des couteaux et des cuillères quand mon regard est tombé sur un revolver posé entre deux comptoirs… », raconte-t-elle. L’enfant a empoigné l’arme. Après avoir poussé les portes battantes, elle l’a pointée vers son père en entonnant « Croyez-vous que je suis un cowboy, Pow Pow… ».
La salle s’est figée, et pépère René, gérant du bar, a saisi le revolver sous un tonnerre d’applaudissements et un tsunami de soulagements. « Ce jour-là, j’ai eu mon premier rappel et j’ai repris la chanson, sans arme, bien sûr ! »
Star et star-system
Ces étonnantes confidences étalées sur quelque deux cents pages ont été recueillies en rencontres Zoom pendant la pandémie et mises en forme par Caroline St-Hilaire, ex-mairesse de Longueuil, récente candidate défaite pour la CAQ dans Sherbrooke. Les deux femmes se sont rencontrées une première fois pour une entrevue à QUB radio sur l’implication philanthropique de l’artiste réputée aussi gentille que généreuse. « Je suis une fan de Shirley, mais c’était tout un contrat pour moi, et elle a vraiment insisté », résume Mme St-Hilaire en entrevue.
La vie et la carrière résumées accompagnent le développement exponentiel du star-system et des industries culturelles du Québec francophone. Shirley Théroux est devenue une immense vedette du disque et de la télé. Née en 1945, elle a percé très rapidement en courant les concours de talents dans les cabarets dès la préadolescence, souvent en cachette de ses parents — et elle les a tous gagnés. Elle compare ces concours aux télécrochets d’aujourd’hui, dont La Voix. La grande rivale de sa jeunesse, la jeune Raynault, devenue Ginette Reno, fréquentait la même classe de la même école sur Le Plateau-Mont-Royal.
Sa chanson fétiche (C’est beau un homme, enregistrée en 1965) avec un son jazz et un soupçon de lounge, cet « hymne à la sensualité _, tellement daté, a connu un succès instantané après une première interprétation à l’émission Jeunesse d’aujourd’hui. Le 45 tours s’est écoulé à plus de 60 000 exemplaires dès le premier mois.
Les Tannants a aussi marqué la culture populaire. Shirley Théroux a accepté d’y participer en refusant du même coup le lancement d’une carrière européenne après avoir remporté le premier prix du Festival international de la chanson de Paris. C’était en 1973, son annus mirabilis, à la fin de sa vingtaine. « Une autre culture, un autre monde, loin de chez moi, je n’aurais pas été heureuse », résume-t-elle en entrevue.
« Quand Télé-Métropole est née, en découvrant Cré Basile, Symphorien, Les Tannants, le public québécois a dit : enfin une télévision qui nous ressemble ! ajoute la Tannante en se rappelant qu’à la radio de Radio-Canada, elle avait entendu présenter Ti-Blanc Richard, père de Michèle, comme Petit Blanc Richard. Le Canal 2 aussi se la jouait un peu beaucoup en « perlant ». « Nous au 10, c’était incroyable : on faisait une émission, et le lendemain tout le Québec en parlait. »
Il n’en reste maintenant que des souvenirs pour les plus vieux. Les bandes ont toutes été effacées, ou presque. Adieu archives, plus rien ne va.
Diffusée par le « canal 10 », la quotidienne à sketchs inspirés du burlesque (dont le personnage de Toutoune, tout aussi d’époque) et enregistrée devant public, roulait à un rythme effréné et sympathique grâce à l’animation de l’hyperactif Joël Denis, abusant de son droit au mauvais goût, et du beau gentleman Pierre Marcotte, « qui faisait tourner la tête de toutes les filles », écrit celle qui l’a finalement épousé et quitté. Pierre Marcotte est décédé de la COVID en juillet.
Le livre évoque l’atmosphère délurée, parfois grossière, du plateau de tournage. En entrevue, l’animatrice raconte qu’elle-même était protégée contre le harcèlement et les agressions parce qu’au début de sa carrière, elle était en couple avec le producteur Jean Paquin. La seule fois où un homme a tenté de l’embrasser de force, dit-elle en entrevue, c’était un journaliste et il a déguerpi quand elle s’est mise à crier à la porte de sa loge.
« Je n’en ai pas parlé [dans le livre] par respect pour sa fille. Il faut dénoncer. Je suis très contente du mouvement #MeToo. Il était temps que ça arrive, que les femmes se tiennent et qu’elles parlent. »
Les épreuves
Elle a connu très tôt la discrimination par l’âgisme, quand on lui a retiré son émission matinale Coup de coeur parce qu’elle était supposément « trop vieille pour faire de la télé ». À 40 ans…
La biographie ne tait pas les épreuves, les maigres revenus pendant des années, la dyslexie, quelques excès (« la drogue, l’alcool, les voyages, la luxure »), jusqu’à la douloureuse séparation avec Pierre Marcotte. Shirley Théroux a appris qu’il la trompait avec une autre chanteuse par un coup de téléphone alors qu’elle travaillait au Hélène-de-Champlain, leur restaurant, tout comme La Boucherie, dans le Vieux-Montréal, qu’elle a conservé après le divorce et revendu récemment.
C’était en 1987, son annus horribilis. Un malheureux contrat de publicité accepté pour les produits amaigrissants Raisinage a mené à des années de procès pour supposée publicité frauduleuse (suivi par une crise médicale quasi fatale), 125 000 dollars de frais d’avocat, mais une exonération finale. « La pire gaffe de toute ma vie ! Le calvaire pendant six ans ! Toutes mes économies y sont passées ! » confie Shirley, fille de Gabriel, frappée à son tour par les malheurs…