La poésie d’ici en 5 recueils

L’ancolie,
Marie St-Hilaire-Tremblay
Après son Noctiluque (Les Herbes rouges, 2020), Marie St-Hilaire-Tremblay nous offrira L’ancolie (1er novembre), fleur ici assez vénéneuse, couverte par les lamentations qui s’amenuisent et celles de la soeur qui s’amplifient. Devant la mort, la grande peur de la solitude envahit l’esprit. La grande soeur est en manque de l’autre. Même si les plaintes de la mère s’insinuent toujours, les femmes grandissent, se quittent. La soeur vivante va son chemin d’endeuillée. Et la question reste de savoir si on peut s’extirper du lancinant mal de l’absence. L’aînée donne alors naissance, ici, à une fille « douée pour les spectres ». Et ce recueil interroge en profondeur : « Qui ose guérir ici ? » S’ouvre alors la poésie à de « jolies défuntes vierges ». L’étrangeté de la proposition, pour ne pas dire son audace, éveille la curiosité. La poète choisit l’ancolie comme le symbole de la survivance, car cette fleur est capable de résister à une défoliation. Ainsi, devant les enfants morts, devant la mort, le recueil posera, à ce qu’il semble, une question fondamentale, à savoir comment résister ou cohabiter avec nos morts, sinon avec la mort elle-même.
Atiku Utei. Le coeur du Caribou,
Rita Mestokosho
Atiku Utei. Le coeur du Caribou (Mémoire d’encrier, 14 octobre), de Rita Mestokosho, proposerait, par son titre, de regarder de front la force même d’un peuple et son humilité. Née sur le Nitassinan en 1966, l’autrice d’Ekuanitshit, communauté innue de la Côte-Nord, continue de s’engager pour sa terre, sa culture et sa langue. Sa poésie accompagne la marche des vivants à travers les obstacles, rencontre les esprits des bêtes, ici expressément le caribou au coeur des forêts et des tambours. À l’écoute aussi d’une grande figure comme Mandela, ici nommé Madiba, elle va au fil des poèmes, comme sur l’eau même des vies obstinées. C’est vers une guérison immersive que semble s’accomplir l’écriture de ce recueil, entreprenant un voyage tout aussi réel qu’intérieur : « Moi je vous parle du Nord / à la manière des pas des ancêtres / silencieux et respectueux // des pas qui touchent les saisons / des pas qui gravissent les montagnes / des pas qui connaissent le silence / car je connais le Nord pour l’avoir écouté / dans de grands moments de froid. » Le but de ce travail de précision réclame « le pouvoir de guérison du coeur ». Il s’agira, le temps venu, de l’accompagner dans cette quête ouverte.
Au plus près de l’absence,
Sylvie Dion
En ces temps d’hébétude, la mort rallie les poètes. Sylvie Dion n’y échappe pas, elle qui, avec Au plus près de l’absence (La Pleine Lune, 2 novembre), plongera dans cette thématique rassembleuse. On connaît la poète depuis sa Passagère de l’intime (L’Hexagone, 2014) et, cette fois, elle ferait figure d’oracle, situant son recueil comme un « présage avant le temps pandémique ». « Le point de départ du recueil s’appuie en partie sur la pensée philosophique que la mort “défie le discours” », voilà comment l’éditrice cerne le contenu de ce livre, aux abords qui pourraient sembler rébarbatifs, mais qui sauront, espérons-le, trouver la voie d’une certaine lumière. Le recueil partira à la recherche des images ou des représentations qui serviraient (est-ce illusoire ?) pour contrer le silence implicite qui couve. Ce livre sera à mettre en perspective avec L’ancolie, de Marie St-Hilaire-Tremblay, dont les thématiques se rejoignent étrangement ; le recueil de Sylvie Dion faisant entendre trois voix : celle de « l’accompagnatrice », celle de « la mourante » et celle de « l’endeuillée ».
Les envies,
Anne-Marie Desmeules
Les envies, d’Anne-Marie Desmeules (Le Quartanier, 4 octobre), osent mettre en jeu « la violence qui dresse les femmes contre elles-mêmes et les unes contre les autres ». Proposition risquée s’il en est une, mais d’emblée courageuse. On annonce des « poèmes fielleux et tendres, cyniques et affligés », ce qui ouvre des perspectives formidables, qui nous met en appétit. Des femmes semblent tout avoir, d’autres non. Décaper l’hypocrisie, dire tout haut, révéler l’impensable, voilà un programme qui, s’il tient ses promesses, pourrait bien révéler l’un des recueils forts de la saison. Anne-Marie Desmeules a reçu le Prix du Gouverneur général et celui des Libraires 2019 pour Le tendon et l’os (L’Hexagone). Elle nous aura donné le beau Nature morte au couteau (Le Quartanier, 2020). Cette fois, en lisant la première strophe de « Laure a lancé sa bouilloire par la fenêtre », partie de ses Envies, on est déjà admiratifs : « assez de sang cuit / dit-elle / le doigt collé à l’assiette / la tempe au fer de la porte / et les cheveux plaqués par un vent de loin / un vent de patate chaude / de pain pauvre et d’emportements. » De la même façon, d’autres titres de parties donnent à rêver : « On parle encore des pipes de Susan-Lee » ou « Marie-Pierre décoche un trait sur son ombre ». On attend la sortie avec impatience.
Bois de fer,
Mireille Gagné
L’un des plus étranges projets de la saison sera sans doute Bois de fer (La peuplade, 1er novembre), de Mireille Gagné. Si on s’y attarde, c’est que c’est pile dans l’air du temps, comme si ce livre répondait à un effet de mode. « Mireille Gagné signe un texte écologique », nous dit la quatrième de couverture, le « je » du recueil se métamorphosant en arbre. Les textes sont écrits en prose, comme une nouvelle qui s’allongerait, un paragraphe par page. Le ton n’est en rien kafkaïen, mais n’empêche nullement la référence. Bien sûr, tendance qui perdure, le recueil ne nous épargne pas, ici et là, des listes. Le poème 114 nous permet d’accéder à l’essence même de la morale implicite dans ce livre, le voici in extenso : « Il faut garder espoir qu’une partie de soi puisse être sauvée. » Réservé à ceux et celle qui frémissent devant toute fragilité végétale : « Une fois ma vie terminée, sciée en lattes de trois quarts de pouce d’épaisseur, je ne pense pas qu’on me vendra parmi le bois sélect. Je serai sans doute placée directement en solde dès mon arrivée à la quincaillerie. » Étrange prose poétique qui se met au service d’un message.