«Un pays meurt quand il cesse d’écouter sa jeunesse»

Karel Mayrand, ex-directeur général de la Fondation David Suzuki pour le Québec et l’Atlantique, appelle les jeunes à changer le système en utilisant les leviers de pouvoir à leur disposition. «Il faut prendre la parole, manifester et, surtout, faire entendre sa voix lors des élections», explique-t-il.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Karel Mayrand, ex-directeur général de la Fondation David Suzuki pour le Québec et l’Atlantique, appelle les jeunes à changer le système en utilisant les leviers de pouvoir à leur disposition. «Il faut prendre la parole, manifester et, surtout, faire entendre sa voix lors des élections», explique-t-il.

En juin 2020, après plus de 30 ans de militantisme pour la cause environnementale, Karel Mayrand tirait sa révérence, quittant son poste de directeur général de la Fondation David Suzuki pour le Québec et l’Atlantique pour se joindre à la Fondation du Grand Montréal.

Les plus cyniques pourraient croire que le militant avait perdu espoir, quittait avec dépit une cause condamnée par un système économique qui sert les intérêts de quelques puissants, rongé par l’impuissance et résigné à sombrer avec toute l’humanité dans le précipice qu’elle s’échine à creuser pour elle-même.

« C’est vrai que j’étais très fatigué. J’avais l’impression de porter le monde sur mes épaules depuis douze ans, et de ne faire que des pas de tortue, affirme le principal intéressé, joint au téléphone par Le Devoir. Je n’étais plus capable de dire aux gens qu’il faut agir pour éviter le pire, alors qu’on a déjà franchi toutes les lignes rouges. Je suis fatigué, mais je n’ai pas perdu espoir. La jeunesse est là, forte et unie. »

Lorsque des centaines de milliers de personnes ont pris part à la grande marche pour le climat à Montréal, en 2019, Karel Mayrand a su qu’il était temps de passer le flambeau à des voix plus fortes, plus radicales. « Pour la première fois, on avait devant nous une génération qu’on n’a pas su protéger des impacts des changements climatiques. En se tenant debout, les jeunes nous ont démontré qu’ils étaient prêts à créer le monde de demain. »

C’est pour arroser cette semence d’espoir que le militant a accepté, à l’initiative des éditions Kata, d’écrire un essai dédié aux jeunes pour leur transmettre les outils et les leçons acquises au cours de ses années de militantisme. Dans Lettre à un.e jeune écologiste, Karel Mayrand offre aux lecteurs des arguments et des moyens de combattre l’indifférence et l’écoanxiété, de passer à l’action et de se battre pour un changement fondamental de la société.

« J’encourage les jeunes à être ambitieux et radicaux dans leurs idéaux. La modération ne suffit plus pour accomplir les changements profonds et systémiques nécessaires pour renverser la vapeur. On doit absolument viser la lune, sinon on ne réussira pas. »

Un monde plus juste et plus vert

 

Dans les premiers chapitres, l’écologiste explique pourquoi les solutions techno-économiques — électrification des transports, investissements dans les énergies renouvelables, taxe carbone — ne suffisent plus pour espérer atteindre l’objectif ciblé par l’Accord de Paris, soit celui de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C par rapport à l’ère industrielle. Désormais, les changements doivent être de nature politique et sociale.

« Ce sont les jeunes qui m’ont fait réaliser l’importance de l’intersectionnalité dans le débat. Quand on creuse aux racines de ce qui ne fonctionne pas dans le monde, on est toujours ramené au colonialisme, qui a permis à une minorité d’accaparer des territoires et des ressources pour s’enrichir. Pour justifier ça, on a créé des modèles idéologiques dans lesquels les hommes et les femmes ne sont pas égaux entre eux, et dans lesquels les Autochtones et les personnes racisées sont privés de leurs droits. Cette infrastructure explique également le manque d’action de nos gouvernements envers les changements climatiques. Tout est interrelié. À partir du moment où on accepte que l’être humain domine la nature et les autres êtres vivants, on accepte aussi qu’un être humain puisse en dominer un autre. »

Karel Mayrand appelle donc les jeunes à transformer le système en utilisant les leviers de pouvoir à leur disposition. « Il faut prendre la parole, manifester et, surtout, faire entendre sa voix lors des élections. Présentement, les 18-34 ans votent en proportion à moitié moins que les 70 ans et plus. C’est sûr que les partis politiques ne s’intéressent pas à eux. À l’opposé, les compagnies qui vendent des souliers de course et des produits de beauté prennent leurs intérêts en compte. Là où les jeunes exercent leur pouvoir, les compagnies et les élus doivent s’adapter. »

Convaincre les plus vieux

 

Dans son essai, le militant énonce plusieurs pièges à éviter lorsqu’on choisit de s’engager pour une cause. Parmi ceux-ci, les réseaux sociaux, qui contribuent à l’indifférence et à l’illusion de l’engagement. « On ne va nulle part avec un like », rappelle-t-il. Sans compter les défis que représentent les trolls et la désinformation qui pullulent sur ces plateformes.

En plus de leur donner des outils pour détecter les fausses nouvelles, savoir reconnaître les sources crédibles et limiter les biais de confirmation, il rappelle que l’objectif principal n’est pas de faire changer d’avis les conspirationnistes ou les libertariens. « En donnant de l’attention aux radicaux, on leur donne de la légitimité. Le vrai combat, c’est de convaincre le 80 % des gens qui sont raisonnables, qui sont conscients qu’il y a un problème, et de leur démontrer que les sacrifices qu’ils devront faire leur permettront d’accéder à une meilleure qualité de vie. »

Devant l’ampleur de la tâche, il est aussi essentiel de ne pas céder au défaitisme, encore moins de perdre pied devant ceux qui nous taxeraient d’idéalistes. « Ne doutez pas que vous pouvez y arriver, martèle-t-il, au téléphone. Si nos institutions sont incapables de répondre à l’urgence, il faut les changer. On ne peut pas changer les lois qui régissent la biosphère, mais on peut transformer les inventions humaines. Ça a été fait dans le passé. Les boomers ont renversé la société. Ils ont instauré des systèmes d’éducation et de santé universels, nationalisé l’électricité, renversé le pouvoir de l’Église. Ils ont exigé une société plus juste et se sont donné les moyens d’y parvenir. »

Le vrai combat, c’est de convaincre le 80 % des gens qui sont raisonnables, qui sont conscients qu’il y a un problème, et de leur démontrer que les sacrifices qu’ils devront faire leur permettront d’accéder à une meilleure qualité de vie.

Aux plus vieux, Karel Mayrand pose la question : aurez-vous le courage d’être les alliés, plutôt que les adversaires de vos enfants ? « Un pays meurt quand il arrête d’écouter sa jeunesse. En ce moment, j’ai très peur pour le Québec. Qui a réalisé la Révolution tranquille ? La jeunesse, qui a donné son appui à des élus visionnaires. Ensemble, on peut déplacer des montagnes. »

Lettre à un.e jeune écologiste

Karel Mayrand, Kata, Montréal,2022, 141 pages

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