La force tranquille de Christian Quesnel

Une maquette tirée de «La cité oblique».
Photo: Christian Quesnel Une maquette tirée de «La cité oblique».

Comme une force tranquille, l’auteur, illustrateur et dessinateur Christian Quesnel trace lentement, mais sûrement, son chemin dans le monde de la bande dessinée francophone. Le nom de celui qui a publié en 1995 Le crépuscule des Bois-Brûlés, un premier album racontant l’histoire d’un jeune Métis à l’époque de Louis Riel, se fait de plus en plus entendre depuis une quinzaine d’années. Avec raison.

D’ailleurs, ce fut une année de consécration pour le doctorant inscrit à l’École multidisciplinaire de l’image — le fameux programme consacré à la bande dessinée offert à l’Université du Québec en Outaouais —, lui qui a reçu le prix Éco-Fauve Raja 2022 au Festival de la bande dessinée d’Angoulême pour l’album Mégantic, un train dans la nuit, qu’il a cosigné avec Anne-Marie Saint-Cerny.

L’artiste lance ces jours-ci La cité oblique, un album particulièrement intéressant, qui retrace l’histoire du Québec et de sa capitale comme si elle nous était racontée par l’auteur américain H. P. Lovecraft (avec les textes d’Ariane Gélinas).

« Ça fait quand même 30 ans que je fais de la bande dessinée. J’ai enfoncé le même clou pendant des années et des années. Et ça n’a pas toujours marché, mais j’ai appris de mes erreurs. Si, aujourd’hui, je récolte les fruits de tout ce travail, je sais que ça ne vient pas de nulle part, j’ai travaillé fort. Je ne dirais pas que je ne touche pas à terre, parce que je suis du genre à rêver sur le plancher des vaches, mais je suis content et je le suis aussi pour la bande dessinée québécoise en général, qui trouve sa place partout dans le monde ! »

Christian Quesnel vient piquer la curiosité lorsqu’il dit avoir appris de ses erreurs. Parle-t-il de quelque chose en particulier ? « Choisir mes sujets ou, peut-être, mieux les expliquer. Par exemple, ma bande dessinée Vous avez détruit la beauté du monde, qui porte sur le suicide, a été bien reçue, mais le sujet n’était vraiment pas évident et, surtout, je pense que j’aurais pu mieux l’expliquer. Dans les phases de création, il y a aussi la promotion, vendre ton idée au public. C’est un truc que j’ai appris à faire avec le temps. Je dois aussi faire attention à la façon dont je choisis mes collaborations. Est-ce que l’éditeur a du budget ? Parce qu’il s’agit quand même de mon gagne-pain. Et, finalement, la liberté artistique. Il m’est arrivé de laisser des gens s’intercaler un peu trop dans mon travail. »

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir L’illustrateur Christian Quesnel, à Québec. 

Il est vrai que Quesnel ne fait pas dans la facilité. Il a traité du suicide, de la tragédie de Lac-Mégantic, et il prépare actuellement une oeuvre sur Dédé Fortin.

 

Il y a quelques années, il a décidé d’annuler la sortie d’un album né du désir de transposer un scénario de film écrit par Claude Jutra. La bande dessinée devait paraître alors que le nom du cinéaste, décédé en 1986, se retrouvait au coeur d’une polémique à caractère sexuel, en 2016.

« Ça s’appelle Une bonne année pour les olives et ce qui est particulier, c’est que c’est fait dans un style qui est presque à l’opposé de ce que je fais. C’est très coloré, très optimiste, puisque ça se déroule à la fin des années 1960. Je ne sais toujours pas si je vais la sortir. Peut-être, un jour… »

Un style particulier

 

Parlant de style, celui de Quesnel est beaucoup plus proche de la peinture que de la bande dessinée traditionnelle, avec ses dégoulinades et des transparences et, surtout, cette obsession pour le bleu. Mais d’où vient-elle, cette fixation pour cette couleur ? Est-il à ce point obsédé par les crépuscules ?

« C’est presque inconscient, pour moi. Oui, je prends la décision d’utiliser cette palette, et c’est vrai que j’aime beaucoup le turquoise, par exemple. Pas pour peindre mes murs de cette couleur, chez nous, mais dans mon travail, je pense que cela évoque notre nature, les nombreux lacs de l’Outaouais ? Peut-être, aussi, parce que je suis fasciné par le Québec maritime, quand tu vois les montagnes de Charlevoix se confondre avec le fleuve et avec le ciel, il y a des nuances de bleu incroyables. C’est ce que j’essaie de reproduire, même si j’en suis incapable. »

Fleuve qui, justement, se retrouve en plein coeur de La cité oblique, inspiré des voyages réels de Lovecraft dans la ville de Québec au début des années 1930, qui ont donné des textes publiés dans un recueil édité de manière posthume, bien longtemps après la mort du créateur du Mythe de Cthulhu en 1937.

Étrange et fascinant

Quel album étrange que La cité oblique alors que, pour l’occasion, les auteurs Ariane Gélinas (romancière fantastique) et Christian Quesnel (qui signe ici les dessins) réinventent une partie de l’histoire du Québec comme si elle nous était racontée par l’auteur américain H. P. Lovecraft, créateur du Mythe de Cthulhu, bien connu des amateurs du genre. Inspirés, à la base, par des écrits réalisés lors des voyages de Lovecraft à Québec au début des années 1930, Gélinas et Quesnel ont eu l’intelligence de ne pas s’en tenir à ces textes qui sont, au mieux, une recension vaguement insipide. Cela donne une histoire totalement dans le style lovecraftien qui met en avant d’étranges et sombres personnages dont les noms évoquent ceux des grands explorateurs de la Nouvelle-France, alors que le dessin, plus près de la peinture que de la bédé traditionnelle, nous plonge dans un état contemplatif qui est tout à fait fascinant.

« C’est une histoire assez spéciale ! C’est Thomas-Louis Côté, le directeur de Québec BD, qui m’a demandé, alors que nous participions à un festival, en France, en 2017, si j’avais pensé à adapter Lovecraft étant donné que nos styles se ressemblaient. Et il a ajouté que Lovecraft avait même écrit sur la ville de Québec, ce que j’ignorais, et cela a piqué ma curiosité. Je suis allé les lire, ces textes, qui ne sont pas très palpitants, disons-le, mais ça m’a donné envie de les travailler. Alors, j’ai décidé de raconter, plutôt, l’histoire du Québec comme si elle avait été imaginée par Lovecraft. Mais comme les textes étaient relativement faibles, on a décidé de les réécrire à la toute fin du processus, et c’est là qu’est arrivée l’autrice Ariane Gélinas, qui m’a été présentée par un ami commun. Bref, ce projet a été mené un peu à l’envers ! »

Ce qui donne, au final, une version totalement uchronique de l’histoire de la province, un genre d’histoire du Québec et de la Nouvelle-France version monde à l’envers de Stranger Things, qui nous donne constamment un petit frisson sur la nuque et qui nous porte à croire que notre géographie et nos mythologies ancestrales pourraient servir de terreau fertile à ces étranges histoires qui gagneraient à être racontées. En beaux tons de bleu, à la manière de Christian Quesnel, par exemple.

La cité oblique

★★★★

Christian Quesnel, Ariane Gélinas, Alto, Québec, 168 pages



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