«Les lignes invisibles»: Montréal, terre d’asile

Su J. Sokol est née et a grandi à Brooklyn, à New York, avant de choisir de faire sa vie à Montréal, au début des années 2000. Son premier roman, Cycling to Asylum (2014), paraîtra le 15 aoûten français dans une édition entièrement revue par l’autrice et traduite par Émilie Laramée. Les lignes invisibles est une véritable ode à la métropole, ses excès, ses beautés, ses métissages, ses saveurs.
On y découvre, à travers ses yeux, ce qui ravit ceux qui y mettent les pieds pour la première fois, savourent ses queues de castor et ses bagels, empruntent ses pistes cyclables, s’émerveillent de la première neige, goûtent à sa solidarité, sa liberté, sa simplicité. Et pourtant, c’est une ville utopique qu’elle met en scène, un Montréal devenu ville sanctuaire, terre d’asile pour tous ceux fuyant la guerre, la dictature, la violence, l’intolérance et la terreur.
L’histoire se déroule dans un futur pas si lointain du nôtre, à Manhattan. Dans ces États-Unis hypersurveillés, les policiers règnent en maîtres, armés jusqu’aux dents par un état autoritaire, désireux de réprimer toute forme d’insurrection. Les appartements sont fouillés, arbitrairement, à la recherche d’immigrants illégaux ou d’autres « indésirables. » Le recours aux Tasers est banal. Les écrans sont partout, sous la forme de cartes, de tableaux de bord, de moyens de communication, de collants pour parechoc. Le papier est une ressource rare, presque introuvable.
Laek, ancien membre d’un groupe radical, souffre d’un syndrome du stress post-traumatique à la suite des sévices et de la torture qu’il a subis aux mains des autorités, durant son emprisonnement. Vivant aujourd’hui sous une nouvelle identité, il travaille comme enseignant. Rattrapé par son passé, il est contraint, avec sa femme, Janie, et leurs deux enfants, Siri et Simon, de fuir les États-Unis à vélo pour immigrer clandestinement à Montréal, où ils tenteront de recommencer à neuf.
Su J. Sokol décrit elle-même son écriture comme interstitielle — située dans les interstices entre les genres. Son roman, comme sa pratique, existeà la frontière de la science-fiction, de la dystopie, de l’engagement social et de la littérature de l’exil. Ce choix — comme celui de raconter l’histoire à partir des points de vue alternatifs des quatre membres de la famille — lui permet une liberté intéressante, autant dans le ton que dans le message.
En conséquence, le récit est inégal et manque parfois de direction claire. La langue est simple, peu nuancée, probablement par souci de cohérence avec les chapitres racontés à travers des yeux d’enfant. En continuité avec cette logique, le tout dégage une impression un peu naïve, presque innocente, à laquelle on a tout de même envie de croire.
On en comprend peu, finalement, sur ce qui a mené à la situation politique de l’autre côté de la frontière. Mais ce n’est pas vraiment important. Ce que Su J. Sokol veut raconter, au fond, à travers les yeux des nouveaux arrivants, c’est ce qui passe lorsqu’une nation se met dans une posture d’accueil ; une posture qui fait naître l’espoir, la reconnaissance, la volonté et la curiosité, mais aussi l’ambivalence, la nostalgie, le choc, le manque. Et à travers tout ça, la liberté d’être, de se définir et de se réinventer, à la jonction de toutes ses identités.