Ce qui ne forme pas un abri

Cette semaine, dans La Presse, j’ai lu l’histoire de Clément Robitaille. Retraité, il habitait juste en face du parc où j’ai passé une partie de mon enfance et quelques années de mon primaire à l’école Sainte-Bernadette-Soubirous, à la lisière des quartiers Rosemont et Saint-Michel à Montréal. Clément vivait depuis des décennies dans un logement. En voyant une photographie de son visage, il m’a fait penser à celui des messieurs que je croisais enfant au dépanneur. Maigre, des yeux doux. Son immeuble, après avoir été racheté dans un état vétuste, selon les nouveaux propriétaires, devait être rénové. C’est la raison utilisée pour évincer les locataires, dont Clément, qui payait jusqu’alors 400 $ par mois. Il n’est pas parvenu à trouver un nouvel appartement qui convenait à son budget et, sans lieu où vivre à partir de janvier 2021, il a habité dans sa voiture durant des mois. Jusqu’à y mourir d’un arrêt cardiovasculaire en juillet, en pleine canicule. J’ai pensé à toutes les étapes où la société a failli en laissant un homme âgé à lui-même.
Clément habitait dans un quartier qui était, jusqu’à récemment, à l’abri de la gentrification, mais cet exemple montre qu’il l’est de moins en moins. Que les conséquences de l’embourgeoisement de la ville sont délétères.
Le logement de Clément est aujourd’hui loué pour 1400 $ par mois. Un profit de 12 000 $ par année pour les nouveaux propriétaires contre la vie d’un homme. Le capitalisme a les dents longues et dévore tout.
Dans le train qui me ramenait vers la métropole, il y a deux semaines, je me suis aperçue qu’il y avait des campements de fortune près de la voie ferrée, et mon coeur s’est serré de savoir que de plus en plus de gens devaient se résoudre à de telles stratégies. Et même quand on a un appartement, souvent, les conditions de vie ne sont pas idéales. Malgré ma situation de locataire que je sais être loin d’être la pire, j’ai vécu, au fil des années, avec beaucoup de gens dans des lieux parfois contigus, j’ai connu des infestations de souris, de punaises, des voisins intimidateurs et d’autres qui m’empêchaient de dormir la nuit à coups de techno, un vol par effraction et une inondation majeure.
Au fil des années, ma situation financière s’est améliorée et j’habite désormais seule, dans un grand appartement dont le loyer n’est pas trop élevé. Le propriétaire a essayé de m’évincer illégalement l’été dernier. Je me suis accrochée, j’ai pris un avocat, j’ai pu garder ce lieu qui me revenait de droit. Je quitte la ville pour un nouvel emploi bientôt, je monte encore dans l’échelle sociale, et cela m’assure une qualité de vie qui me rend mal à l’aise quand je la compare avec celle des autres. J’ai donc décidé de me prévaloir d’un autre de mes droits, celui de céder mon bail : en procédant ainsi, je m’assure que le propriétaire ne profitera pas de mon départ pour hausser illégalement le loyer, comme il en rêve manifestement.
Or, cette semaine, le directeur général de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec, Benoit Ste-Marie, a fait une sortie médiatique pour dénoncer la cession de bail, qui empêche, dit-il, les propriétaires de s’adapter aux prix sur le marché. Il souhaite que le gouvernement révise au plus vite cette loi. Peut-être que nous vivons actuellement les derniers moments de cette pratique, un des rares moyens que les locataires ont de se battre contre la crise du logement, contre les prix artificiellement gonflés du marché.
Pour cette cession de bail, j’ai fait visiter mon appartement à l’ami d’un ami. Il est Ukrainien. Il revenait tout juste d’Athènes, où il était allé retrouver ses parents qui y avaient fui la guerre. C’était pour eux qu’il cherchait un logis. Je lui ai dit que je ne faisais pas confiance à mon propriétaire, qu’il allait peut-être tout faire en son pouvoir pour contourner la loi et rependre le bail, mais qu’il fallait tout de même essayer. J’ai pensé que les maisons devraient être des abris, et j’ai regretté que ce contexte-ci ne permette pas qu’elles le soient. J’ai trouvé l’avidité de certains d’une très grande vulgarité.