«Reckoner»: réunir les solitudes canadiennes une trilogie à la fois

«Étrangers» raconte l’histoire de Cole Harper, un jeune antihéros qui peine à composer à la fois avec ses origines autochtones, sa volonté d’oublier des événements douloureux datant de presque dix ans et le caractère d’un adolescent contrarié et contrariant.
Photo: KATA éditeur «Étrangers» raconte l’histoire de Cole Harper, un jeune antihéros qui peine à composer à la fois avec ses origines autochtones, sa volonté d’oublier des événements douloureux datant de presque dix ans et le caractère d’un adolescent contrarié et contrariant.

Rapprocher les communautés autochtone, anglophone et francophone du Canada est un exercice qui ne se fait pas en un claquement de doigts, mais qui peut certainement être facilité par la fiction, habile à concilier les divergences culturelles. Avec sa trilogie Reckoner, l’auteur canadien David A. Robertson ajoute une pièce de plus à ce casse-tête : celui d’attirer les adolescents vers la littérature.

D’abord publiée en anglais, Reckoner a reçu des critiques élogieuses du côté du ROC avant de faire le saut en français. Son auteur, membre de la nation crie Norway House, située en plein cœur du Manitoba, a reçu le Prix du Gouverneur général en 2017 et en 2021. « Étrangers », le premier roman de la trilogie, a été adapté en version française par KATA éditeur et arrivera en librairie le 1er juin.

« Étrangers » raconte l’histoire de Cole Harper, un jeune antihéros qui peine à composer à la fois avec ses origines autochtones, sa volonté d’oublier des événements douloureux datant de presque dix ans et le caractère d’un adolescent contrarié et contrariant. Le personnage doit retourner de Winnipeg à son village natal de Wounded Sky, du nom de la Première Nation dont il fait partie, pour faire face à son passé.

Un échange de textos avec une amie d’enfance restée au village finit par le convaincre de revenir là où il a pu sauver d’un incendie meurtrier deux amis, mais où ont péri plusieurs autres habitants du village. Ce qu’il ignore à ce moment-là, c’est qu’il obéit à la demande d’un esprit aux intentions pas toujours très bienveillantes et qu’il n’est pas au bout de ses peines, puisque le village de Wounded Sky devient soudainement le théâtre d’une série de meurtres choquants et de l’éclosion d’une maladie bien étrange qui ravage la population locale. Un mal qui inquiète dans ce village où a déjà existé un laboratoire médical bien mystérieux…

Pour Cole, qui s’avère un redoutable joueur de basketball et qui rêve d’entrer à l’université après avoir tout juste terminé l’école secondaire, c’est à la fois un retour dans le temps et une introspection nécessaire pour passer à l’âge adulte. Un passage autrement plus difficile pour celui qui, au fil de cette trilogie, adoptera les traits d’un superhéros.

C’est un mélange des genres inédit entre science-fiction, fantastique et polar que tente avec un certain succès l’auteur manitobain dans ce premier tome, qui ne fait que mettre la table pour la suite de l’histoire découpée en deux tomes subséquents. Le récit est habile et engageant. Il conserve un bon rythme et les rebondissements sont fréquents, de quoi garder le lecteur en haleine jusqu’à la fin… et même plus loin, étant donné que ce n’est qu’un début.

D’antihéros à superhéros

La série Reckoner aide aussi à faire le pont entre les cultures dans un pays — le Canada — qui en a bien besoin. Tout le monde s’identifie à cet antihéros qui n’apparaît pas comme particulièrement sympathique — Cole Harper est aux antipodes d’un Harry Potter —, mais dont le passé explique son comportement pour le moins irrationnel.

On y retrouve certes certaines figures propres au folklore autochtone, comme ce fantôme de Coyote appelé Choch qui incarne habilement le monde des esprits. L’auteur utilise d’ailleurs cet esprit souvent malicieux pour s’adresser directement au lecteur par moments, une façon de rendre le texte plus engageant.

D’autres éléments sont typiquement Canadian. Le hockey du samedi soir, activité sacrée des deux côtés de la rivière des Outaouais s’il en est, est bien présent ici aussi. Et on y trouve enfin cette opposition universelle entre la vie dans les régions éloignées et celle de la grande ville — pour autant que l’on considère Winnipeg comme une grande ville…

Bref, des éléments familiers, des éléments fantastiques et quelques surprises en cours de route composent une histoire qui se laisse lire toute seule. De quoi plaire à une catégorie de lecteurs qui n’a peut-être pas le goût de se farcir des livres d’histoire plus secs et surtout plus volumineux, mais qui a suffisamment frayé avec l’univers des bandes dessinées à la Marvel pour reconnaître le même terreau d’où émergent les héros les plus improbables.

Car comme dirait l’autre, on ne naît pas héros — même pas sur une autre planète que la Terre, comme, disons, Krypton —, on le devient. Et ça, David A. Robertson en fait la preuve en double : d’abord en traçant le portrait d’un jeune adulte qui apprendra à mieux se connaître, puis en préparant la voie pour que davantage d’œuvres qui mêlent les nombreuses solitudes formant le Canada voient le jour à l’avenir.

Étrangers (V.F. de Strangers)

★★★ 1/2

David A. Roberston, KATA éditeur, Montréal, 2022, 250 pages

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