Un tueur en série peut en cacher un autre…

Il y a maintenant une dizaine d’années que Joanne K. Rowling s’est transformée en Robert Galbraith… et Sang trouble est déjà la cinquième enquête menée par Cormoran Strike et Robin Ellacott, son associée. Nous voici encore une fois bien loin de Harry Potter, même si le brouillard et les écrans de fumée sont au cœur de ce récit aussi dense que palpitant.
Alors qu’il visite sa tante malade en Cornouailles, Strike se voit proposer d’enquêter sur une disparition survenue au milieu des années 1970 ; celle de la docteure Margot Bamborough. Cette « affaire classée » jamais résolue par la police avait à l’époque été reliée aux crimes monstrueux d’un tueur en série qui sévissait à Londres sans qu’on ne réussisse jamais à en faire la preuve. Émus par la demande de la fille de la victime, nos deux enquêteurs décident de relever le défi. Mais par où commencer ?
En jouant de ses contacts et de sa réputation, Cormoran réussit d’abord à mettre la main sur une copie du dossier de l’enquête de police ; cela permet au lecteur comme aux détectives de se familiariser avec les acteurs du drame. À partir des rapports et des notes de l’inspecteur Bill Talbot — obsédé par la magie noire, il a laissé sa santé mentale dans l’affaire —, Robin et Cormoran réanalysent toutes les données de l’enquête, revoient tous les témoins encore vivants… et se laissent eux aussi prendre au piège de plusieurs fausses pistes. Tout cela au milieu du quotidien trépidant de l’agence, qui travaille sur deux ou trois autres affaires en même temps, et de la vraie vie qui déchire tout autant Strike que son associée. Au bout du compte, après une série de revirements improbables, l’affaire arrive à une conclusion que personne n’avait évidemment vu venir.
Rowling-Galbraith — fort bien servie par une solide traduction — sait raconter des histoires vécues par des personnages éminemment crédibles auxquels on s’attache, on ne vous l’apprendra pas. Et même si sa série Cormoran Strike n’a pas atteint la renommée des aventures de Harry Potter avec ses 500 millions d’exemplaires vendus et ses traductions en plus de 70 langues (!), elle pourrait fort bien y arriver encore une fois.
Violences diverses
Qu’est-ce qui explique l’attrait indéfinissable des romans d’Arnaldur Indriðason ? Son souffle ? Sa façon, l’air de rien, de raconter l’histoire de l’Islande ? Son inimitable lenteur à tisser des histoires qui prennent forme, un fil à la fois, puis se dévoilent plus lentement encore sous nos yeux ? C’est un peu tout cela qu’on retrouve dans Le mur des silences, ce 24e roman (déjà !) où le maître du polar nordique laisse toute la place à Konrad, le flic à la retraite qui déroule devant nous le quatrième chapitre de l’enquête qu’il mène sur l’assassinat de son père.
Ici, Konrad croule d’abord sous le poids du remords quand son fils apprend une infidélité qu’il avait cachée à tout le monde. Malheureux comme les pierres, Konrad replonge encore plus dans son enquête… et c’est là qu’on apprend qu’il a menti aux policiers le soir du drame. Le voilà même soupçonné par un inspecteur de la Criminelle qui lui fait subir un dur interrogatoire. Konrad n’a plus le choix : il doit élucider ce crime qui l’obsède. Évidemment, ce n’est pas si simple.
L’ancien policier fera remonter toute une époque ; celle de la fin des années 1960 où son père sévissait. Surnommé Seppi, c’était un petit escroc et un receleur qui s’était mis à faire chanter un médecin pédophile. Acoquiné à une petite bande spécialisée dans les cambriolages, il a mis la main sur des photos compromettantes pendant qu’un de ses complices était lié à un assassinat. On apprendra évidemment tout cela très lentement, un détail à la fois.
Sous ses airs anodins, cette histoire est d’une terrible violence et met en scène le pire de ce que l’on peut imaginer : viol, pédophilie brutale, abus de confiance, pornographie, meurtres et violence conjugale… sans parler de tout le reste. La traduction d’Éric Boury rend encore une fois cet univers sombre et insoupçonné de façon admirable.
Un livre dérangeant.
Tape-à-l’œil
Le premier livre de la série Leo Desroches — L’automne de la disgrâce,paru l’an dernier chez le même éditeur — nous a fait connaître un étonnant personnage. Métis albertain, Desroches est un journaliste dévoré par la dépendance au jeu. C’est un homme qui a tout perdu — femme, enfants, maison, carrière, etc. — et que l’on retrouve encore une fois à la rue dans Un hiver meurtrier, sous -40 °C, en plein cœur d’Edmonton.
Sauf qu’ici, il travaille en pleine immersion sur un reportage décrivant les conditions de vie impossibles des sans-abri. Globalement, Leo va beaucoup mieux ; il a retrouvé le goût du travail bien fait et même une copine complice. Mais ça ne va pas durer, on le devine rapidement lorsqu’un de ses amis de la rue disparaît… avant de réapparaître, affreusement mutilé, à la morgue.
Le journaliste plonge alors dans une enquête alambiquée où il sera confronté à un gang criminel autochtone, et tout se met à aller très vite et très mal. Les violences s’accumulent, Desroches survit à une fusillade, est enlevé, puis échappe encore une fois, miraculeusement, à la mort pour finir en prison… on caricature à peine.
Malgré tout, le personnage est attachant dans ses dérives ; c’est ce qui fait d’ailleurs l’intérêt de la série. Wayne Arthurson gagnerait à se concentrer plus sur Desroches et à nous proposer des intrigues un peu plus crédibles et moins tape-à-l’œil.